La victoire et l’histoire. Tsai Ing-wen a remporté très haut la main la présidence taïwanaise ce samedi avec environ 56% des voix. Son principal concurrent, Eric Chu du parti au pouvoir Kuomintang (KMT) arrive très loin derrière avec un petit 31%, selon des chiffres non définitifs. Pour la première fois depuis sa fondation en 1949 par les nationalistes de Tchang Kaï-chek, la République de Chine avec ses 23 millions d’habitants sera dirigée par une femme qui est ni une fille, ni une veuve, ni une épouse de, à la différence de la birmane Aung San Suu Kyi, de la Sud-coréenne Park Geun-hye, de l’Indienne Sonia Gandhi ou de l’Américaine Hillary Clinton. Tsai, que l’on surnomme Hsiao Ing (petite Ing), devient la première présidente élue dans la seule démocratie du monde chinois.

A 59 ans, Tsai Ing-wen prend sa revanche sur le scrutin de 2012 où elle était arrivée en deuxième position, à seulement 6 points du vainqueur. Elle offre ainsi au Parti démocratique progressiste (PDP) sa deuxième présidence après les mandats de Chen Shui-bian entre 2000 et 2008. Et aux législatives qui se tenaient en même temps que la présidentielle, le PDP est également en passe de s’emparer de la majorité à l’Assemblée, infligeant une raclée au KMT.

Le nouveau chef de l’état a curieusement réservé ses premières réactions officielles à la presse étrangère. Devant des dizaines de journalistes rassemblés à son QG établi non loin du temple Shandao au cœur de Taïpei, elle a appelé au respect de la «volonté populaire des 23 millions de Taïwanais et de la république de Chine qui est un pays démocratique». S’adressant à la Chine, elle a insisté également sur les valeurs qui fondent Taiwan: «le système démocratique, l’identité nationale et l’intégrité territoriale. […] Toute forme de violation affectera la stabilité des relations entre les deux rives du détroit», a-t-elle dit d’un ton ferme mais avec une voix fatiguée par la campagne marathon des derniers jours.

«Personne ne nous empêchera de brandir un drapeau»

S’adressant ensuite à ses supporteurs venus par centaines célébrer la victoire, elle a indiqué qu'«il n’y aura pas d’événement inattendu dans la relation avec la Chine» qui considère Taïwan comme une partie intégrante de son territoire. Tsai n’a pas caché les «nombreux défis et les difficultés, mais personne ne nous empêchera de brandir un drapeau.» La présidente est ainsi venue au secours d’une jeune chanteuse taïwanaise, membre d’un groupe de K-pop sud-coréen, qui a eu le tort aux yeux des Chinois d’arborer le drapeau de la république de Chine (voir ici) lors d’un show.

La polémique, qui a mis le feu aux réseaux sociaux, a pris une telle ampleur ces dernières heures que l’adolescente Chou Tzu-yu a été forcée de s’excuser dans une vidéo de repentance: «Il n’y a qu’une seule Chine et les deux parties ne font qu’une», dit-elle face à la caméra. «En tant que Chinoise, les propos et le comportement incorrects que j’ai eus à l’étranger ont porté atteinte aux intérêts de mon entreprise et ont heurté les internautes de l’autre côté du détroit […]. J’ai décidé d’arrêter mes activités en Chine pour réfléchir sérieusement sur moi-même.» L’affaire et la publication de la vidéo ce samedi ont de nouveau jeté un froid et soulevé des doutes sur les futures relations entre les deux pays. 

«Nous sommes de tout cœur avec nos amis qui brandissent et soutiennent notre drapeau», a surenchéri Eric Chu, le grand perdant de la soirée. Signe de l’ampleur du raz de marée vert (couleur du PDP), il a concédé sa défaite avant même que le dépouillement ne soit terminé. «Je suis désolé… Nous avons perdu, a-t-il reconnu à son QG de campagne. Le KMT a subi une défaite électorale. Nous n’avons pas travaillé assez dur et nous avons déçu les attentes des électeurs.»

Chu, 54 ans, dirigeait jusqu’à présent la mairie du Nouveau Taïpei et ramait dans les sondages depuis des mois. Cet homme consensuel avait une mission impossible à remplir afin que le KMT conserve la présidence. Parti-état qui préside aux destinées du pays depuis soixante-cinq ans quasi sans discontinuer, le KMT est une institution vieillissante et à bout de souffle. Il s’est déchiré pendant la campagne, débarquant sa candidate en octobre, à quatre mois du scrutin pour introniser Chu.

La candidate à la présidence Tsai Ing-wen vote à Taipei, le 16 janvier 2016

La candidate de l’opposition à la présidentielle taïwanaise, Tsai Ing-wen, vote à Taipei le samedi 16 janvier, quelques heures avant sa victoire (photo AFP).

Une passation de pouvoir à risques

Ce dernier a surtout été plombé par une politique de rapprochement avec la Chine qui a ulcéré la population taïwanaise, viscéralement attachée à son identité, à son indépendance de fait et à sa vitalité démocratique comme le démontre ce scrutin. Pendant ses huit années à la tête de l’Etat, le président sortant Ma Ying-jeou a multiplié les mains tendues et les risettes aux grand-frères chinois, signant 22 accords de libre-échange qui font craindre aux Taïwanais une «annexion économique» de la Chine communiste, comme l’explique un jeune cadre trentenaire. Lors d’un sommet historique, Ma Ying-jeou est même allé jusqu’à rencontrer le président Xi Jinping.

Le PDP a toujours pris ses distances avec une telle politique de rapprochement avec Pékin. Nul doute que pendant la campagne, Tsai Ing-wen a bénéficié de ce malaise. Mais elle a pris soin à ne pas insulter l’histoire, se contentant de dire qu’elle continuerait à respecter le «statu quo» entre les deux rives du détroit. Tsai Ing-wen va surtout devoir revivifier une économie en berne, qui pâtit du ralentissement chinois. Mais elle devra attendre encore quatre mois avant de mettre les mains dans le cambouis. Ce n’est que le 20 mai que la passation de pouvoir aura lieu. Avec le risque que ce transfert de pouvoir soit émaillé de tensions.

Arnaud Vaulerin Envoyé spécial à Taïpei