C’était il y a quarante ans, presque jour pour jour. Le 17 janvier, après avoir encaissé injures et insultes, Simone Veil remportait son combat : sa loi légalisant l’interruption volontaire de grossesse (IVG), qui deviendra la loi Veil, était promulguée. Enfin l’avortement sans raison médicale n’était plus un délit passible de prison. La victoire fut difficile, mais la loi confirmée en 1979. Puis réaménagée. Depuis 1982, l’IVG est remboursé par la Sécurité sociale ; depuis 2001, le délai légal permettant d’avorter est allongé (passant de dix à douze semaines de grossesse). Et depuis l’an dernier et le vote de la loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes, le droit inconditionnel à l’IVG est consacré. Symbole fort, les Françaises n’ont plus besoin d’invoquer de la «détresse» pour bénéficier d’un avortement. La notion a été supprimée.
Quarante ans après la loi Veil, que font les femmes de ce droit pas toujours facile d’accès et fragile, comme l’a montré la tentative de retour en arrière en Espagne ? C’est bien la question que s’est posée l’Ined (l’Institut national des études démographiques) qui publie ce jeudi un état des lieux. Principal constat : «Depuis 1975, le recours à l’avortement a d’abord baissé, grâce à une meilleure diffusion de la contraception, affirment les chercheurs Magali Mazuy, Laurent Toulemon et Elodie Baril. Il s’est ensuite stabilisé depuis une dizaine d’années.» En 2011 (les derniers chiffres disponibles), près de 210 000 IVG ont été pratiquées. Mais que cache ce chiffre assez stable ? Zoom en quatre chiffres.
9,5%
La proportion de femmes qui ont eu recours deux fois à une IVG, tandis qu’elles sont 4,5% à en avoir subi trois ou plus dans leur vie. Selon l’Ined, ces pourcentages restent faibles, mais ils augmentent depuis les années 70. Pourquoi ? Bien sûr, on peut invoquer des inégalités dans l’accès à la contraception (comme aux soins, et aussi à l’IVG). On peut aussi souligner une sacrée évolution dans la vie sexuelle et conjugale des femmes. Un moment en couple, puis non. Sous contraception, puis non. Plus libres. Avec, parfois, des accidents.
27,5 ans
C’est l’âge moyen auquel les femmes ont recours à l’IVG, depuis les années 2000. Derrière cette moyenne, un fait : la proportion d’IVG est maximale aux extrêmes de la fécondité, donc chez les plus jeunes et, dans une moindre mesure, les plus âgées. A 15 ans, 70% des grossesses sont interrompues ; à 20 ans, 40%. Entre 19 et 25 ans, une jeune femme sur quatre connaît un avortement. Inquiétant ? Plutôt le signe, selon Magali Mazuy, «d’une plus grande liberté des jeunes filles de ne pas mener à terme une grossesse qu’elles ne souhaitent pas et d’une marginalisation grandissante des grossesses précoces». Et ce dans un contexte de diminution de l’âge au premier rapport et de retard de l’âge à la maternité. Cet âge a en effet reculé, passant de 26,7 ans en 1975 à 30,1 au début de la décennie 2010.
210 000
C’est le nombre d’IVG pratiquées en 2011. Beaucoup ? Trop, malgré la diffusion de la contraception ? D’abord, répond Magali Mazuy, «C’est un droit». Ensuite, il s’agit d’un chiffre qui, parti de 240 000 dans les années 70, s’est stabilisé depuis les années 2000. Et qu’on ne vienne pas faire de la France, pays qui affiche un très joli taux de fécondité, une des championnes de l’avortement, prévient l’Ined. D’un point de vue purement statistique, «nous sommes simplement dans la moyenne», affirme Magali Mazuy qui cite ces chiffres : 15 avortements pour 1 000 femmes en France, comme en Norvège, au Danemark, mais 17 en Hongrie, 20 en Suède, etc. La chercheuse insiste sur un fait essentiel : plus l’avortement est «légalisé», accessible, etc., moins il y en a. La preuve par les pays d’Afrique de l’Est qui le prohibent et affichent des taux d’IVG au-delà de 35 pour 1 000 femmes.
7e
Les IVG sont (en moyenne) pratiquées avant la septième semaine de grossesse. Avec le recul, il est maintenant clair que l’allongement du délai légal voté en 2001 n’a pas retardé le délai de recours à l’avortement. On observe surtout un raccourcissement progressif du délai précédant une IVG, qui s’explique notamment par la diffusion de la «pilule abortive» (RU 486, etc.). Objet honni par les anti-avortement à sa naissance en 1980, cette «pilule», permettant une IVG médicamenteuse, d’abord cantonnée au milieu hospitalier, est depuis 2004 accessible aux femmes chez les gynécos et généralistes. Et depuis 2009, dans les centres de planification familiale et les centres de santé. En 2011, 55% des IVG sont médicamenteuses (16% en 1990 et 36% en 2002). Ces IVG sont surtout pratiquées en hôpital ou clinique, mais en hausse dans les cabinets de ville (24%).