Dans un courrier adressé le 23 mai « à tous les personnels des Journaux du Midi », le président du directoire, Alain Plombat, a tiré la sonnette d’alarme en annonçant de nouvelles mesures de rigueur. Deux ans à peine après l’annonce d’un plan de restructuration portant sur 158 postes, le groupe de presse du Languedoc-Roussillon est à nouveau dans la tourmente. Les ventes de journaux, (Midi-Libre, L’Indépendant, Centre-Presse) et les recettes publicitaires continuent de reculer fortement : « Nous avons sous-estimé le nouveau et brutal “dévissage“ de la presse quotidienne après une année pourtant jugée “catastrophique“ par toute la profession. »
Alain Plombat cite un récent rapport sur la presse au ton alarmant : « L’écosystème de la presse écrite est engagé dans une spirale dramatique. Les constats opérés à partir du second semestre 2012 font même ressortir une tendance à l’amplification de ces évolutions – une forme de “rupture“ – qui peut à présent laisser craindre les plus grandes difficultés… »
Quelques chiffres (sources OJD).
Ventes payées semaine………….2007………………….2012
Midi-Libre………………………..146 179……………….130 065
L’Indépendant…………………….63 616………………..55 485
Centre-presse…………………….20 748………………..18 916
La chute des ventes de l’Indépendant a commencé en 1990. A cette époque, pas si lointaine, notre quotidien vendait 70 000 exemplaires par jour. Toujours avec trois éditions sur l’Aude et les P-O. L’érosion continue des ventes est un phénomène qui est apparu avant internet. Qu’il se soit accéléré sous l’effet d’internet ne fait bien sûr aucun doute.
La baisse des ventes de L’Indépendant, est passée de 1 000 exemplaires par an à 2 000 exemplaires en 2010, 2011 et 2012. Et cela alors que la population des P-O et de l’Aude croit fortement. Cette très forte érosion des ventes s’accompagne d’une baisse des recettes publicitaires.
La plupart des quotidiens régionaux connaissent une situation comparable. Notable exception Ouest-France qui est par, son tirage, le plus important quotidien payant français. Ses ventes sont quasiment stables, 769 000 en 2007 et 749 000 en 2012. Et toujours dans l’ouest de la France, le télégramme de Brest ne cesse lui, année après année, de gagner des lecteurs. 200 000 et 2007 et 203 000 en 2012. Pourquoi ces deux titres résistent-ils aussi bien ? C’est une bonne question à laquelle nous n’avons pas la réponse.
Dans la même période, 2007-2012, la presse quotidienne nationale a elle aussi continué à perdre des lecteurs. Gros plongeon pour l’Equipe, 323 184 à 274 828 et pour Le Parisien 336 032 à 274 892. Le Monde, de 316 851 à 288 113. Aujourd’hui en France 187 481 à 179 353. Libération 132 356 à 119 418. Le Figaro n’enregistre qu’une faible baisse, 327 500 à 323 303. Pendant la période 2010-2012, après de fortes chutes, les ventes de plusieurs quotidiens nationaux se sont stabilisées.
Les patrons de la PQR semblent espérer que le même phénomène de stabilisation se produise. Ce ne sera pas pour 2013, année qui pourrait être aussi mauvaise que les précédentes.
Du côté de la presse magazine et toujours dans la même période, le recul des ventes est nettement moins important que celui qu’enregistre la presse quotidienne nationale et régionale, sauf pour Marianne qui est passée de 274 000 en 2007 à 234 000 en 2012 (phénomène particulier. Son anti-sarkozysme militant et agressif lui a fait perdre nombre d’électeurs de droite). L’Express, 451 000 à 433 000. Le Figaro Magazine, 447 000 à 431 000. Faible recul du Nouvel Observateur, 509 935 à 503 371 et du Point, 419 223 à 412 286. Et seul Valeurs Actuelles est en progression, 84 134 et 85 431.
Dans son courrier, Alain Plombat se réfère à plusieurs reprises à la situation économique de la région, à son taux de chômage, 14,3 %, le plus élevé de France. Et il ressort l’idée, vieille lune, que le journal n’est plus un « produit de première nécessité ». Illustration d’une approche du marché de la presse un peu courte.
De nouvelles dépenses ont fait leur apparition dans les budgets des ménages : chaînes de télévision payantes à partir des années 1980, abonnement au téléphone portable à partir des années 1990, abonnements à internet à partir des années 2000. Plus l’acquisition et le renouvellement du matériel informatique et l’achat de consommables. Et oui !
Pour nombre de nos concitoyens ces dépenses apparaissent plus nécessaires que l’achat de la presse.
Face à ça, qu’à fait la presse pour rester attractive ? La presse régionale, pas grand-chose.
Alors que la presse nationale est devenue plus curieuse et plus exigeante, la presse quotidienne régionale reste un relais des institutions et des pouvoirs locaux en particulier de ceux qui sont ses gros annonceurs ce qui crée un déséquilibre politique flagrant. Pour prendre un exemple récent, pourquoi aussi peu de place et un traitement à minima pour le rapport accablant de la chambre régionale des comptes sur la gestion du conseil régional du Languedoc-Roussillon ? Pas une seule une. Mais plusieurs unes et une grosse couverture sur l’affaire du club de basket avec un traitement visant à impliquer la mairie de Perpignan. Ce tableau ne serait pas complet si on n’évoquait pas des défauts chroniques : manque de rigueur, de vérification et d’approfondissement de l’information. Ce manque de qualité de l’information n’échappe pas aux lecteurs, en particulier à tous ceux qui lisent un titre d’information national, quotidien ou hebdomadaire. Imaginons un journal national qui traiterait l’actualité nationale comme l’Indép traite l’info locale. Personne ne le lirait.
Alain Plombat se gargarise avec les chiffres de fréquentation des sites internet du groupe. Mais l’information y est gratuite. Cela constitue certes une audience intéressante pour les annonceurs. Mais parmi les lecteurs qui ne veulent pas dépenser 1 euro par jour pour un journal qui ne les intéressent pas, combien seront prêts à sortir la Carte Bleue quand une partie du contenu sera payante ? Une minorité. Quoi qu’il en soit la PQR ne générera plus jamais le même niveau de recettes.
La prospérité et beaucoup de ses avantages, c’est fini. Une dure réalité à laquelle certains ont du mal à s’adapter. Du côté des ouvriers du livre qui impriment le journal, mais pas seulement. En 2011 les syndicats de journalistes refusaient le regroupement des informations générales (pages France et étranger) en invoquant un risque d’uniformisation de l’information. Mais les infos générales de l’Indépendant, du Midi-Libre, de Sud-Ouest sont réalisées avec les mêmes dépêches de l’AFP. Une seule rédaction infos générales qui alimenterait les journaux du groupe suffirait. Faire des économies est la première solution qui s’impose. « C’est à une gestion drastique à laquelle chacune et chacun, à son poste, doit s’employer dans l’intérêt commun ! », écrit le président du directoire.
Il y a quelques jours de ça, avec un confrère nous évoquions l’époque où L’Indépendant était la référence en matière d’information culturelle locale (années 1980-1990). Il avait des signatures qui faisaient autorité en la matière, Georges-Henri Gourrier, Jacques Quéralt… Pour toutes les personnes branchées culture, ce qui fait du monde, la lecture de l’Indépendant était quasiment indispensable. La culture n’a plus qu’un seul rubricard. Il n’a pas le lustre de ses prédécesseurs et son crédit est érodé par l’obligeance qu’il a affichée pour le théâtre de l’Archipel dont son épouse est directrice adjointe.
A force de vouloir devenir populaire l’Indépendant est devenu un journal qui semble davantage destiné à ceux qui n’achètent pas de journaux qu’aux lecteurs de presse.
L’internet est en train de bousculer le modèle économique de la presse et d’ébranler les forteresses de la presse régionale. A tel point que personne ne peux décrire le paysage médiatique tel qu’il sera dans dix ans. Mais une chose est certaine, la presse payante ne survivra qu’en offrant des contenus de qualité destinés à des publics aux attentes diverses. FT
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