L’entreprise Spanghero n’en démord pas : le gouvernement serait allé trop vite en besogne en la désignant comme un des principaux responsables de l’entourloupe à la sauce chevaline. Vingt-quatre heures après que Benoît Hamon et Stéphane Le Foll ont dévoilé les conclusions de l’enquête de la répression des fraudes, le président du négociant en viande audois, Barthélémy Aguerre, a contre-attaqué. A ses yeux, suspendre — même provisoirement — l’agrément sanitaire de l’usine, revient à «condamner à mort 300 salariés et leurs familles», le tout «sans preuves». L'argument de l'emploi, en période de crise économique, n'est pas surprenant. Sauf que la défense de la direction manque de poids, selon plusieurs éléments recueillis par Libération. Décryptage.
Les sanctions sont-elles disproportionnées?
Dans l’Aude, la fermeture pour l'instant temporaire de Spanghero vient aggraver une situation sociale guère reluisante. L’entreprise est un des plus gros employeurs du bassin lauragais avec 300 salariés à Castelnaudary (10 000 habitants). Le département est le troisième plus pauvre de France selon l’Insee, avec un taux de chômage atteignant les 13,5% fin 2012 (9,9% en moyenne nationale). Pour l’instant, les salariés hésitent à prendre position. Certains font bloc autour de leur direction, d’autres commencent à se lâcher.
Comme ce prénommé Alain, interviewé par Europe 1, qui qualifie les responsables de l’entreprise de «gros magouilleurs». Selon lui, sa hiérarchie se livrait depuis quelques mois à des pratiques douteuses. «On en discutait tous les jours, on s’est dit "Ils ne sont pas clean".» Il confie même espérer que le directeur «ira en taule». La tonalité est différente chez Jérôme Lagarde, représentant Force Ouvrière : «On est remontés contre le gouvernement, explique-t-il. Il est allé trop vite, il n’y a pas de raison de ne pas nous faire confiance.»
La suspension de l’agrément sanitaire — pour une huitaine de jours — est très mal vécue. Vendredi après-midi, des agents des services vétérinaires continuaient d’inspecter l’usine, comme l’a confirmé Claude Hill, représentant CFDT, à Libération. Leurs conclusions détermineront si le retrait d’agrément sera définitif ou pas. Patrice Rio, représentant CFDT à la DGCCRF, s’interroge sur cette stratégie : «Pourquoi fait-on appel aux services vétérinaires alors qu’il s’agit d’une affaire de tromperie économique ? C’est une manière pour le ministère de l’Agriculture d’avancer ses pions... et pour certains d’avoir de la visibilité.» A ses yeux, «dans une affaire de cette sorte, les peines prévues ne vont pas jusqu'à l’arrêt du fonctionnement de l’usine».
Pour le ministère de l’Agriculture, le retrait d’agrément est une «mesure juste et proportionnée». «Dès qu’il y a suspicion de rupture de la traçabilité, il y a rupture des agréments», justifie-t-on au cabinet de Stéphane Le Foll.
L'erreur d'étiquetage peut-elle être accidentelle ?
L’affaire s'éclaircit peu à peu, et la direction de Spanghero en prend pour son grade. On sait que la viande est sortie étiquetée «Cheval origine Roumanie» des abattoirs Doly-Com et Carmolimp, situés à Roma et Brasov. Elle est arrivée siglée «BF [boeuf, ndlr] origine UE» chez Comigel, le fabricant de produits surgelés. Que s’est-il passé entre-temps ? Deux intermédiaires sont intervenus dans le cycle commercial : les entreprises de trading Draap et Windmeijer et le négociant Spanghero. Ce dernier est pour l’instant le plus mal en point. Le ministre de la Consommation, Benoît Hamon, évoque à son sujet soit une «très grosse étourderie», soit de la «tromperie économique».
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Le trader néerlandais Jan Fasen assure avoir vendu de la viande chevaline à Spanghero. Une facture révélée par le Parisien tend à accréditer cette thèse. Le code douanier visible sur le document (0205 0080) correspond clairement dans la nomenclature européenne (voir page 36) à de la viande chevaline.
Une dénomination que Spanghero assure ne pas connaître. «Pour nous, le code à 8 chiffres identifiant les palettes incriminées, que la répression des fraudes considère comme la référence douanière relative à de la viande de cheval surgelée, ne correspond pas à un code douanier, mais à un code article, a soutenu Barthélémy Aguerre. Nous l’avons pris pour un code article, et rien d’autre.»
A la DGCCRF, une source s’avoue étonnée par cette ligne de défense. «Tous les professionnels de la viande connaissent ces codes. D’ailleurs, Spanghero savait parfaitement être dans les clous quand il le fallait. Nos enquêteurs ont retrouvé dans leurs locaux des factures envoyées à Tavola [le fabricant de plats surgelés, ndlr], qui utilisaient le code douanier adéquat, celui du bœuf. On peut comprendre que Spanghero se cherche une ligne de défense, mais là...»
Jeudi, Benoît Hamon avait également minimisé l’hypothèse d’une erreur «de bonne foi». Pour le ministre, outre divers éléments «physiques», le «prix d’acquisition de la viande, bien en-deçà de celui du marché», aurait dû alerter les responsables de Spanghero. Ceux-ci, contactés à plusieurs reprises, n’ont pas souhaité répondre à nos questions.
Un dernier élément reste à éclaircir, l'étiquetage des lots reçus en provenance des Pays-Bas : «BF 90/10», qui ne signifie pas «bœuf», mais «avants désossés» («Boneless fores» en anglais). Une référence qui ne spécifie pas s’il s’agit de bœuf ou de cheval. Les enquêteurs néerlandais devraient prochainement remettre les conclusions de leur travail. Une manière de savoir si les traders intermédiaires ont pu se rendre coupables de manipulation ou de complicité.