Oscar Pistorirus est accusé d'avoir tué sa petite amie. Ici, le 15 février 2013. (Antoine de Ras/AP/SIPA)
Oscar Pistorius vient d'être interpellé pour le meurtre de sa compagne, le mannequin Reeva Steenkamp. La thèse de l'accident semble ne pas tenir et le champion handisport est clairement soupçonné de meurtre. Une dispute familiale qui aurait mal tourné…
Ce champion hors normes avait marqué les esprits par son talent et son courage. Ce matin, le public jettera sans doute un regard attristé à la page des faits divers, préférant le temps où il le voyait figurer à celle des sports. Mais l'ensemble de ces articles et retombées presse aura sans doute un lecteur plus attentif : le patron du marketing des parfums Mugler qui avait fait d'Oscar Pistorius l'égérie de son parfum A*Men.
Le glamour ne suffit plus
Le "celebrity marketing", qui consiste à faire d'une figure connue l'égérie de sa marque ou de son produit, a largement fait ses preuves. Le public aime s'identifier à des personnalités qui symbolisent la réussite, la beauté ou le talent. À la fin du XIXe siècle déjà, Sarah Bernhardt apparaissait sur les affiches de la Diaphane, célèbre marque de poudre de riz.
Et le phénomène a pris, depuis, une ampleur très logique. Car le marketing des égéries à deux bénéfices incomparables : une identification bien plus rapide de la marque et la projection du public dans l'image que véhicule la star qu'elle s'est choisie. C'est ainsi que les plus grandes actrices, hollywoodiennes ou françaises, ont défilé devant les caméras de la marque Lux pour apporter la touche de glamour et de sophistication qui manquaient à ce savon très grand public.
Autres temps, autres mœurs : les Ava Gardner, Marlène Dietrich ou Elisabeth Taylor étaient des professionnelles du papier glacé. Jalousement surveillées par les studios, ces stars ne laissaient rien paraître de leur vie privée à part quelques frasques très contrôlées.
Mais la beauté ne suffit plus à nos époques débridées. On veut des caractères, du souffle, des aventures hors normes… Bigger than life ! Bref la star de papier glacé doit laisser la place à de vrais personnalités. Et c'est là que les ennuis commencent…
Différents grades de dérapages de stars
De Michael Jackson à Kate Moss, d'Eric Cantona à Lance Armstrong, ils sont nombreux les exemples d'égéries en plein dérapage, pas toujours contrôlé. À chaque fois, la même question se pose de la part des marques commanditaires : comment réagir pour ne pas être entraîné dans la chute… sans pour autant donner l'impression de se désolidariser à la première contrariété.
Deux éléments entrent alors en considération : la nature du dérapage, mais aussi la sensibilité de la marque.
En matière de dérapage, il y a des cas simples : ceux que la morale réprouve et qui sont généralement considérés comme inexcusables. C’est le cas de Pepsi, qui a annulé tous ses contrats avec un Michael Jackson accusé de pédophilie. Ou encore d'un Tiger Woods lâché par ses sponsors (Gillette, Tag Heuer, AT&T, Accenture…) après avoir été convaincu d'adultère, ce qui aux États-Unis semble encore pire que la pédophilie. Seul son équipementier Nike avait continué à le soutenir, non sans avoir mis en scène ses excuses publiques dans un spot publicitaire un peu pathétique.
Mais il y a des blâmes moins évidents et là, c'est la sensibilité de la marque qui entre en jeu. Quelles valeurs cherche-t-elle à incarner aux yeux des consommateurs, en quoi l'incartade vient altérer son image ? Ainsi, quand Pepsi rompt son contrat avec la chanteuse Britney Spears, dont l'image d'ingénue a été ternie par ses problèmes d'alcool, c'est bien l'image familiale et consensuelle de la marque qu'il s'agit de préserver. Il faut dire que ladite Britney Spears venait d'être photographiée buvant un… Coca Cola, ce qui était difficile à avaler.
Mais quand Nike maintien son soutien au footballeur Eric Cantona (filmé en train d'agresser un supporter qui l'avait insulté), on se dit que cette marque fait délibérément un choix dont elle estime qu'il n'affecte pas son image, voire même qu'il renforce une certaine dimension d'indiscipline et de rébellion.
Les autorités anglaises, qui s'évertuaient depuis quelques années à juguler la violence des stades, ont sans doute avalé leur chapeau ; les consommateurs, eux, semblent avoir apprécié. Il faut dire qu'Eric Cantona avait eu le génie de joindre la poésie à la castagne, ce qui donnait à sa faute une dimension épique sinon excusable. On se souvient de son énigmatique "Quand les mouettes suivent un chalutier, c'est parce qu'elles pensent que des sardines seront jetées à la mer", balancé en plein point presse, juste après l'agression.
Plus mutique mais lui aussi sauvé par les sponsors : Zinedine Zidane, après son fameux coup de tête lors de la finale de la coupe du monde de football à Berlin. En urgence on modifie l'accroche de la pub conçue pour Scrabbl. Ce qui devait être, ça ne s'invente pas : "Maintenant, il va falloir ne jouer qu'avec la tête" deviendra "il n'y en aura toujours qu'un seul" avec la lettre Z sur fond vert. Et surtout, Danone, le sponsor historique, organisera la rédemption avec la complicité de Canal Plus et de "l'Equipe" (qui héritera au passage d'une magnifique campagne pleine page montrant l'ex-capitaine des Bleus agenouillé devant un enfant).
Le cas Kate Moss et la cocaïne
Le cas de Kate Moss illustre à lui seul la question de la sensibilité d'une marque. La "brindille" a longtemps été un modèle absolu de beauté et de charme. Et c'est tout naturellement qu'elle collectionnait les collaborations avec les marques de mode et de cosmétique.
Surprise en 2005 avec de la cocaïne plein le nez (les photos étaient parues dans le "Daily Mirror" avant de faire le tour du monde), elle vit ses sponsors se diviser en deux camps. D'un côté, ceux qui estimaient que l'image qu'elle donnait était inconciliable avec leurs valeurs : H&M par exemple, qui rompit un contrat estimé alors à plusieurs centaines de milliers d'euros… avec d'autant plus de précipitation qu'elle prévoyait plusieurs ouvertures de magasins aux États-Unis, un pays qui ne plaisante pas avec le politiquement correct. Burberry, Chanel ou Louis Vuitton avaient eu la même réaction.
Mais d'autres marques, au contraire, ont choisi de poursuivre leur collaboration en considérant que ces frasques et cette aura de scandale, de fête et de plaisirs défendus ne pouvaient que renforcer leur propre capital de marque. C'est le cas, par exemple, du maroquinier Longchamp, marque à l'image veillotte et bourgeoise, qui a largement utilisé Kate Moss pour se donner une réputation plus sulfureuse et plus branchée.
Oscar et les sponsors
Le cas d'Oscar Pistorius appartient sans aucun doute à la première catégorie : celle des fautes inexcusables. C'est assez pour justifier une réaction ferme des marques qui l'accompagnent.
Reste à orchestrer cette réaction. Car du lâchage au lynchage, il n'y a qu'un pas… qu'il faut bien se garder de franchir tant l'effet boomerang pourrait être dévastateur. Les consommateurs n'aiment pas l'inconstance des marques. Et dans ces périodes de crise, ils attendent des réactions dignes et mesurées. Autant ils dénonceraient l'hypocrisie d'une condamnation qui ne leur semblerait pas claire, autant ils ne veulent pas voir frapper un homme à terre. Ils y sont d'autant plus sensibles qu'ils passent eux-mêmes, à titre personnel, par les mêmes contradictions : brûler l'idole qu'on a adorée n'est pas chose facile.
Pour l'heure, de l'équipementier Nike aux parfums Thierry Mugler, l'heure est au "wait and see". British Telecom vient de se retrancher derrière les procédures légales en cours pour justifier d'une absence de réaction à chaud. Et chacun s'efforce de sauver les meubles : sur le site personnel de Pistorius, une publicité pour Nike vient juste d'être retirée. Elle représentait le champion Sud-Africain et le slogan "I am the bullet in the chamber" ("Je suis la balle dans le canon"). Et une émission qui lui était consacrée à la télé sud-africaine a été déprogrammée.
Mais toutes ces grandes marques embarrassées ne devraient pas tarder à réagir : on les verra quitter le chevet du malade sur la pointe des pieds, "condamnant un geste inexcusable tout en regrettant un partenariat qui faisait leur fierté" (chacun trouvera la formule appropriée, avec les tremolos qui vont bien !). Quand on travaille avec des célébrités, on travaille avant tout avec des êtres humains. Ils sont évidemment faillibles. Les marques, elles, ne peuvent se permettre de l'être.