Par MARIE-JOËLLE GROS envoyée spéciale en Islande
Les Islandais vont élire samedi un président de la République. Ou une présidente : 235 784 votants sont attendus de 9 heures à 22 heures dans les bureaux de vote (l’île ne compte que 320 000 habitants, soit la population du XVIIIe arrondissement de Paris). Dans cette démocratie parlementaire, la fonction est avant tout honorifique. Elle donne l’exemple, un ton, une direction. Or, demain, les Islandais auront le choix entre la continuité ou le changement. Reconduire l’actuel président Olafur Ragnar Grimsson, 70 ans, qui brigue un cinquième mandat (la Constitution ne prévoit pas de limite). Ou lui préférer Thora Arnorsdottir, une journaliste de 37 ans qui a accouché de son troisième enfant le 17 mai, en pleine campagne électorale, et sans expérience politique. Ces deux visages résument à eux seuls les fractures profondes de l’île depuis l’effondrement de son économie à l’automne 2008 et les trois années de récession qui ont suivi.
«Pom-pom-boy des vikings de la finance» contre «poupée Barbie»
Olafur Ragnar Grimsson ne doute pas de la victoire. Président depuis 1996, c’est un personnage ambigu. Ancien ministre des Finances de 1988 à 1991, plutôt de gauche dans sa jeunesse, il s’est peu à peu rapproché de la droite historique et anti-européenne de l’île. Ses amitiés et soutiens aux entrepreneurs islandais pendant les années de l’envolée économique (2001-2008) lui valent les quolibets de ses opposants : «Il s’est mué en pom-pom-boy des vikings de la finance.» Opposé à l’entrée de l’Islande dans l’Union européenne, il toise les 6 autres candidats : «Je pense que mon expérience et mes connaissances contribueront mieux que d’autres à apaiser les dissensions, les conflits et les controverses auxquelles le pays a dû faire face.» Et réserve à sa vraie rivale, Thora Arnorsdottir, cette salve : «C’est une poupée Barbie.»
Mais en intervenant directement dans la vie politique en 2010, le Président Grimsson a dérouté bon nombre de ses concitoyens. Président interventionniste, il a usé par deux fois de son droit de veto pour refuser de promulguer une loi pour l’indemnisation des clients britanniques et néerlandais d’Icesave, la filiale en ligne de la banque islandaise Landsbanki, en faillite. A la deuxième tentative pour parvenir à un accord, il l’a même soumis à référendum. Sans surprise, le «non» l’a emporté. Grimsson en est sorti héroïque pour les uns, populiste pour les autres. Son geste a surtout déclenché une crise diplomatique avec les Pays-Bas et le Royaume-Uni. Le dossier Icesave est désormais en contentieux devant l’Association européenne de libre-échange (AELE).
Face à lui, la journaliste Thora Arnorsdottir promet qu’elle ne se mêlera pas de politique intérieure. Pas plus qu’elle n’interférera dans les négociations en cours pour l’entrée dans l’Union européenne. Certains la trouvent «pas assez politique». Mais elle défend le modèle d’une présidence «apaisée et éthique». Journaliste vedette de télé publique RUV, elle est diplômée de philo et d’un master en sciences politiques internationales qu’elle a décroché entre Bologne et Washington. Elle parle couramment l’italien, l’anglais, l’allemand, un peu de français et toutes les langues scandinaves.
«La Présidence a un grand pouvoir d’influence, et le mien sera de rechercher le consensus. Nous devons cesser de nous blâmer pour aller de l’avant», nous a-t-elle déclaré. Si elle l’emportait, elle serait la plus jeune présidente d’Islande. Mais pas la première. En 1980, Vigdis Finnbogadottir a été la première femme au monde élue au suffrage universel direct. Mais elle avait 50 ans ; Thora en a 37.
Le Parti de l’Indépendance en embuscade
Depuis janvier, le Président-candidat a joué un drôle de jeu. En présentant ses vœux à la nation, il a commencé par annoncer qu’il ne se représenterait pas. Il voulait couler des jours heureux dans une cabane en bois au bord d’une rivière, en compagnie de sa seconde épouse Dorrit Moussaieff, une créatrice de bijoux israélo-britannique. Une pétition l’aurait fait changer d’avis. Depuis, cinq autres candidats se sont manifestés. Mais Grimsson s’accroche à son fauteuil. Il sait qu’il peut compter sur les voix conservatrices du Parti de l’Indépendance, la plus vieille formation de l’île, restée à la tête du pays depuis l’après-guerre et jusqu’au krach.
Balayés de l’exécutif en janvier 2009 au profit d’une personnalité de gauche, Johanna Sigurdardottir, l’actuelle Première ministre, les ténors du Parti de l’Indépendance attendent leur revanche. Et se frottent les mains : la politique d’austérité conduite par le gouvernement de gauche est très impopulaire. Ils comptent reprendre la main dès les législatives du printemps 2013.
En attendant, leur leader, David Oddsson - l’ex-homme fort de l’île, patron du parti dès 1983, à la tête de l’exécutif pendant treize ans (1991-2004), puis directeur de la Banque centrale - s’est reconverti en éditorialiste politique au Morgunbladid. Et soutient Grimsson a longueur de colonnes. Tout comme Geir Haarde, pilier du Parti de l’Indépendance, Premier ministre au moment du krach, jugé coupable en avril par la Haute Cour de justice, mais pas condamné.
Alors que la vieille garde mise sur Grimsson, une partie de l’île voudrait finir de renouveler la classe politique. Le scrutin de samedi dira laquelle des deux Islandes est aujourd’hui la plus influente.