François Hollande a réuni ce dimanche soir à l'Elysée le Premier ministre, Manuel Valls, ainsi que les ministres Arnaud Montebourg et Ségolène Royal au sujet du dossier Alstom, a indiqué la présidence de la République dans un communiqué.
«Le président de la République a réuni ce soir autour de lui le Premier ministre, Manuel Valls, le ministre de l'Economie, Arnaud Montebourg, et la ministre de l'Ecologie, du Développement durable et de l'Energie, Ségolène Royal, sur l'évolution du dossier Alstom au regard des objectifs d'emplois, de localisation des activités et d'indépendance énergétique», selon le communiqué.
François Hollande recevra par ailleurs le PDG de General Electric ce lundi à 9 h 30.
A l'issue d'un conseil d'administration, qui s'est tenu ce dimanche à partir de 18 heures, le groupe Alstom fait savoir pour sa part «qu'il poursuit et approfondit sa réflexion stratégique et (qu'il) informera le marché d'ici mercredi 30 avril matin». Dans cette attente, la société a demandé que la cotation de son titre reste suspendue.
Un peu plus tôt dans la journée, alors qu'
il devait rencontrer ce dimanche le PDG du géant américain General Electric, qui convoite la division énergie du groupe français Alstom, le ministre de l'Economie Arnaud Montebourg a décidé de reporter ce rendez-vous. Après que
l'Allemand Siemens s'est dit lui aussi intéressé pour racheter une partie des activités d'Alstom, Bercy a fait savoir dans un communiqué que la gouvernement souhaitait «disposer du temps nécessaire à un examen sérieux des propositions».
Bien que l'Etat ne soit plus actionnaire de l'entreprise depuis 2006, ce dossier est hautement politique. Vendredi,
Arnaud Montebourg avait justifié son interventionnisme par la nécessité de prémunir la France du risque de perdre un centre de décision et d'éventuels emplois. Alstom emploie quelque 93.000 personnes dans le monde, dont 18.000 en France.
«GE et Siemens sont deux investisseurs importants en France et des acteurs de premier plan au sein de notre tissu industriel national», souligne le ministère de l'Economie dans son communiqué, ajoutant que «le gouvernement est prêt à examiner leurs projets avec le souci de préserver les intérêts de la base industrielle de la France et à y participer financièrement».
Une marge de manœuvre limitée pour le gouvernement
Que peut faire l'Etat, qui n'est plus actionnaire du fleuron industriel hexagonal depuis 2006, face à un groupe américain qui réalise plus de 100 milliards d'euros de chiffre d'affaires par an et à la trésorerie pléthorique, intéressé par une entreprise française cinq fois plus petite et en difficulté ?
«La seule pression possible pour l'Etat est verbale», estime l'économiste Nicolas Bouzou du cabinet Astéres. «La position de fond de l'Etat est légitime, explique-t-il,comprenant que le gouvernement souhaite protéger une telle entreprise, présente sur les secteurs stratégiques du transport et de l'énergie. Mais attention, prévient-il. On prend à partie l'opinion publique pour montrer qu'on agit, mais ça ne sert à rien.» «Mieux vaudrait de la diplomatie souterraine», ajoute l'économiste qui craint que la stratégie du ministre de l'Economie et du Redressement productif n'ait «un effet contraire». Selon Nicolas Bouzou, «l'intervention dans le dossier SFR d'Arnaud Montebourg, qui a soutenu la candidature de Bouygues face à celle de Numericable pour le rachat de cette filiale de Vivendi, a non seulement échoué, mais elle a même conduit Vivendi à accélerer les discussions avec Numericable».
«L'Etat ne peut rien faire», confirme Marc Touati du cabinet ACDEFI et les déclarations d'Arnaud Montebourg relèvent du «marketing», de déclarations «pour sauver la face», alors qu'un fleuron de l'industrie française pourrait être racheté en grande partie par un groupe américain. La seule solution serait de «piloter une contre-offre». Mais l'Etat, «surendetté», ne peut pas recapitaliser Alstom. Il a donc besoin de partenaires et devra surtout établir une offre qui «économiquement ait du sens».
L'offre GE est pertinente. Un rapprochement avec GE, lui, «a du sens», souligne Marc Touati du cabinet ACDEFI. GE est un grand groupe mondial, qui réalise près de 100 milliards d'euros de chiffre d'affaires, «ce n'est pas un investisseur qatari ou un fonds chinois qu'on ne connait pas» et dont le projet industriel serait incertain. En outre, les activités de GE et d'Alstom dans l'énergie sont complémentaires, selon les analystes. Ce qui n'est pas le cas avec Siemens avec lequel les doublons semblent plus nombreux.
Nuisible pour l'image de la France. Marc Touati pointe du doigt «la schizophrénie du gouvernement, qui veut attirer les investisseurs étrangers en France, mais qui bloque les discussions quand ils approchent». Cette nouvelle intervention risque «de nuire à l'image de la France auprès des investisseurs étrangers», prévient Marc Touati. Selon Marc Touati, le problème de fond est que «la crise a dévalorisé les industries françaises» et certaines sont devenues des proies. «L'économie française n'est pas assez compétitive» pour y échapper, estime-t-il.
Siemens propose à Alstom un échange d'actifs
GE proposerait près de 10 milliards d'euros pour le rachat de son activité énergie. De son côté Siemens aurait proposé à Alstom de reprendre cette activité contre une somme en numéraire, à laquelle s'ajouterait «la moitié de sa branche transports», affirme «
Le Figaro». Un peu plus tôt, Siemens avait annoncé avoir fait part au fleuron industriel français «de sa disposition à échanger sur les questions stratégiques soulevées par une coopération future», se refusant à divulguer davantage de détails.
«Le Figaro» affirme avoir pris connaissance du contenu d'un «courrier porté ce matin au PDG d'Alstom», Patrick Kron, dans lequel le patron de Siemens, Joe Kaeser, lui «propose un échange d'actifs». Dans cette offre qui n'est «pas formelle», dit le journal, le groupe allemand propose «de reprendre l'activité énergie d'Alstom, contre une somme en cash». Ce paiement serait complété par l'apport de «la moitié de sa branche transports, qui regroupe les trains à grande vitesse et les locomotives, mais pas les rames de métro», précise le quotidien. Prenant en compte les préoccupations exprimées par le gouvernement français sur l'emploi et l'éventuelle perte de centres de décision, Siemens «formule un certain nombre d'engagements» sur ces questions, ajoute-t-il.
De son côté, le quotidien allemand
Handelsblatt, qui dit avoir également consulté cette lettre, rapporte que Siemens évalue les activités d'énergie d'Alstom à un montant compris entre 10 et 11 milliards d'euros. Quant aux garanties évoquées par le groupe allemand, «Siemens pourrait maintenir les emplois en France pendant au moins trois ans, et par la suite il souhaiterait continuer à développer l'activité», écrit encore le journal.
Il y a dix ans, le rendez-vous manqué entre Alstom et Siemens
En 2003-2004, le groupe français Alstom, alors en grande difficulté financière, avait dû céder de nombreux actifs et négocier avec ses banques créancières, l'Etat procédant à un sauvetage massif pour éviter un démantèlement qui aurait profité notamment à... l'allemand Siemens. «La France ne comptera pas dans le monde si elle perd une à une ses industries» affirmait déjà il y a dix ans, en avril 2004, un ministre des Finances dénommé Nicolas Sarkozy.
Après avoir essuyé des pertes record de 1,38 Md€ pour l'exercice 2002-2003 et vu la valeur de son action divisée par deux en Bourse, Alstom allait être sauvé à grands frais du dépôt de bilan, grâce à un plan de refinancement de 3,2 Mds€ mis en place avec l'aide de l'Etat et des banques. En contrepartie, l'Etat français prenait environ 21% du groupe, à l'occasion d'une augmentation de capital de 1,75 Md€, non sans avoir fait tiquer la Commission européenne. Celle-ci avait finalement donné son feu vert en juillet 2004.
Un sauvetage douloureux, car Alstom, déjà dirigé par l'actuel PDG Patrick Kron, a dû supprimer 8500 emplois et céder de nombreux actifs, dont son activité Transmission et Distribution à Areva pour 920 millions d'euros, et ses turbines à gaz de petite et moyenne puissance pour 1,1 milliard d'euros... à l'allemand Siemens.
Et pendant des mois, le ton s'est envenimé entre Alstom, qui s'est remis à engranger les contrats, et son concurrent Siemens, ce dernier l'accusant de pratiquer une agressive guerre des prix. Outre-Rhin comme en France, le politique s'en est mêlé : le chancelier Gerhard Schroeder, se faisant fort de faire émerger de grands groupes industriels européens, espérait voir son champion national, Siemens, récupérer l'activité d'Alstom dans les turbines afin de rivaliser avec... le géant américain General Electric, aujourd'hui candidat au rachat du pôle énergie d'Alstom, tout comme Siemens.
Mais Alstom avait décidé de tourner le dos au groupe allemand, son PDG Patrick Kron étant viscéralement opposé à un rapprochement contraire à l'intérêt «des clients», «des salariés et des actionnaires» du groupe. Après avoir un temps envisagé un recours devant la Cour européenne de justice (CEJ) contre le plan d'aide de l'Etat à Alstom, Siemens affirmait à l'automne 2004, par la voix de son patron Heinrich von Pierer, n'avoir «plus envie de remuer le couteau dans les anciennes plaies».
Les salariés inquiets se rassemblent
Une vingtaine de salariés d'Alstom se sont rassemblés dimanche devant le siège de l'entreprise à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) pour exprimer leurs craintes sur l'avenir de la branche énergie du groupe. Si le délégué syndical CFE-CGC ne se fait pas d'illusions, reconnaissant «qu'il faudra céder certaines activités et réduire les effectifs», les salariés ont toutefois dénoncé la manière et la rapidité avec laquelle se négociait le sort de leur entreprise.
La CGT appelle à un nouveau rassemblement mardi à 8h30 devant le siège d'Alstom Transport à Saint-Ouen (nord de Paris) en marge d'un comité central d'entreprise extraordinaire dédié à un projet de restructuration, dans le cadre duquel 180 postes pourraient être supprimés. Un conseil d'administration Alstom Transports est prévu lundi à 14h30.