Le Conseil Constitutionnel a validé jeudi 23 juillet l’essentiel de la loi sur le renseignement , dont les très controversées « boîtes noires ». Trois articles ont cependant été censurés, dont un qui devait permettre aux services de renseignement, en cas « d’urgence opérationnelle », de déroger à l’autorité politique.
L’institution a rejeté un autre article relatif aux mesures de surveillance internationale au motif que « le législateur n’a pas déterminé les règles concernant les garanties fondamentales accordées au citoyen pour l’exercice des libertés publiques ». Le troisième article censuré est mineur, selon le Conseil constitutionnel, et touche aux lois de finances.
Cette loi, fortement décriée, entend donner un cadre aux pratiques des services de renseignement, rendant légales certaines pratiques qui, jusqu’à présent, ne l’étaient pas.
Le Conseil constitutionnel avait été saisi par le président de la République et par le président du Sénat, après l’adoption définitive de la loi le 24 juin. Un groupe de 106 députés de tous bords avait également adressé un recours au Conseil constitutionnel. C’est la première fois qu’un président de la République défère une loi au Conseil constitutionnel avant sa promulgation.
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Une loi « dangereuse » selon ses détracteurs
Une démarche inhabituelle, qui s’explique notamment par les vifs débats sur la protection de la vie privée dont le projet de loi a fait l’objet. Dans le texte de leur recours, les députés demandaient au Conseil constitutionnel d’examiner quelques points problématiques à leurs yeux :
« Nous nous interrogeons notamment […] sur la définition large et peu précise des missions pouvant donner lieu à enquêtes administratives ; sur les moyens techniques considérables de collectes massives de données ; ainsi que sur la proportionnalité, par rapport aux objectifs recherchés, de la mise en œuvre de ces techniques intrusives et attentatoires au respect de la vie privée, à l’ère où le numérique est présent à chaque instant de notre vie. »
Au cœur de la polémique, les « boîtes noires », finalement validées par le Conseil constitutionnel. Ce dispositif prévoit de pouvoir contraindre les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) à « détecter une menace terroriste sur la base d’un traitement automatisé » en surveillant tout le trafic. En pratique, les services de renseignement pourraient installer chez les FAI ces « boîtes noires » chargées d’examiner les métadonnées de toutes les communications : origine ou destinataire d’un message, adresse IP d’un site visité, durée de la conversation ou de la connexion… Dans le but de détecter des activités « typiques » des terroristes.
Une forme de « pêche au chalut », un brassage très large des données des Français à la recherche de quelques individus, vivement critiqué par de nombreuses organisations.
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Le Comité des droits de l’homme de l’ONU inquiet
La Commission nationale informatique et libertés (CNIL) avait notamment émis d’importantes réserves, soulevant que l’anonymat des données collectées, prévu par la loi, restait très relatif, puisqu’il pouvait être levé. Plus de 900 acteurs du numérique avaient par ailleurs signé l’appel « Ni pigeons, ni espions », dénonçant une loi « inefficace » mais aussi « dangereuse pour la croissance ». Les entreprises signataires, parmi lesquelles de grands hébergeurs comme OVH ou Gandi, craignaient que leurs clients ne se détournent de leurs services afin de protéger leurs données.
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Jeudi, quelques heures avant l’avis du Conseil constitutionnel, c’était au tour du Comité des droits de l’homme de l’ONU d’émettre des réserves sur cette loi, inquiet des « pouvoirs excessivement larges de surveillance très intrusive » attribués aux agences de renseignement, indique-t-il dans ses observations. Il critique notamment le fait que cette surveillance s’effectue « sur la base d’objectifs vastes et peu définis, sans autorisation préalable d’un juge et sans mécanisme de contrôle adéquat et indépendant ».