Mais elles ont été jugées insuffisantes par la plupart des mouvements d’intermittents. Analyse.
Une mesure d’apaisement, un effort budgétaire et la promesse de tout remettre à plat. C’est en substance ce qu’a annoncé jeudi 19 juin Manuel Valls pour tenter de déminer la crise des intermittents. Sans grand succès, si l’on en croit les réactions des différents protagonistes, dont la CGT spectacles, qui a appelé à « une grève massive » le 4 juillet, jour de l'ouverture du Festival d'Avignon.
Certes, le premier ministre a confirmé que le gouvernement donnerait bien son agrément à la nouvelle convention d’assurance chômage, qui augmente les cotisations payées par les salariés et employeurs du secteur, plafonne à 4 381 € le cumul possible entre allocation et salaire et surtout introduit un différé, c’est-à-dire un délai de carence entre le dernier salaire et la première indemnisation. Ce que les intermittents en grève lui demandaient justement de ne pas faire.
L’ÉTAT NEUTRALISE LA MESURE LA PLUS PÉNALISANTE DE LA NOUVELLE CONVENTION
Mais, première promesse, le premier ministre veut neutraliser la mesure la plus pénalisante de cette convention en annonçant que le différé, qui devait s’appliquer dès le 1er juillet à 48 % des intermittents (ceux qui gagnent plus de 16 € par heure) « ne s’appliquera pas ». En clair : l’État prendra en charge ce différé pour « que Pôle emploi n’ait pas à l’appliquer lui-même ». Or cette mesure devait rapporter 90 millions d’euros à l’Unédic dès 2014 (140 millions en année de croisière). Une enveloppe que le budget de l’État, et donc le contribuable, devra donc prendre en charge, même si Matignon table plutôt sur une dépense de 40 millions d’euros, le temps qu’une autre solution pérenne soit trouvée.
LES CRÉDITS DESTINÉS À LA CRÉATION SERONT ÉPARGNÉS
De plus, deuxième mesure, « les crédits budgétaires consacrés à la création et au spectacle vivant seront maintenus intégralement en 2015, 2016 et 2017 », a déclaré le premier ministre. Une mesure saluée pour tous. Y compris à la CGT, où on dénonçait il y a quelques jours « un coup de rabot de 69 millions d’euros pour le budget du ministère de la culture en 2014 ».
Enfin, troisième engagement, le premier ministre a lancé un chantier, destiné à aboutir à « un nouveau cadre stabilisé et sécurisé ». Autrement dit, revoir les règles de l’intermittence, qui devront être financées à la fois par la solidarité interprofessionnelle, comme c’est le cas aujourd’hui au sein de l’assurance-chômage, mais aussi, et c’est nouveau, par la solidarité nationale, c’est-à-dire le budget de l’État au titre de sa politique culturelle.
Cette mission, qui doit aboutir « d’ici à la fin de l’année », a été confiée à un trio mêlant une personnalité culturelle (Hortense Archambault, qui a codirigé le Festival d’Avignon), un spécialiste du social (Jean-Denis Combrexelle, ancien directeur général du Travail) et le député Jean-Patrick Gille, qui a remis jeudi ses propositions pour déminer le conflit.
LA RÉFORME DE 2003 PLANE ENCORE SUR CELLE DE 2014
Loin d’être anodines, ces trois mesures ne pouvaient cependant pas convaincre. Pourquoi ? Car si les commentaires se sont beaucoup focalisés sur le durcissement du différé introduit par la nouvelle convention, qui concerne moins les artistes que les techniciens, très bien représentés par la CGT spectacles, l’essentiel des revendications des intermittents sur le terrain est pourtant ailleurs.
> voir notre analyse : Ce que change, ou pas, la réforme de l’assurance-chômage pour les intermittents
« Avec le différé, on a rajouté un peu de peinture acide sur notre maison, mais c’est depuis 2003 qu’elle s’écroule », expliquait il y a quelques jours Samuel Churin, l’une des figures de la Coordination des intermittents et précaires (CIP). Avant d’ajouter : « Ce que l’on veut, c’est revenir aux 507 heures sur 12 mois, avec date anniversaire. » En clair : il s’agit de revenir à la règle qui prévalait avant la réforme de 2003, qui permettait d’ouvrir des droits à partir de 507 heures appréciées sur les 12 derniers mois (et non 10). Surtout, avant 2003, les droits couraient pendant un an jusqu’à la date anniversaire de l’inscription, au lieu du système actuel, où les droits courent pendant huit mois, sauf si l’intermittent retravaille, ce qui rend le système beaucoup plus confus concernant la date de fin d’indemnisation. Cette réforme aurait abouti à ce que « 70 % de gens en plus connaissent des ruptures de droits depuis 2003 », affirme Samuel Churin.
L’an dernier, le Comité de suivi des intermittents avait fait des propositions permettant de financer cette revendication grâce à des économies faites ailleurs. C’est parce que ces propositions n’ont pas du tout été prises en compte lors de la renégociation de l’assurance-chômage que celle-ci a d’ailleurs été rejetée en bloc par les intermittents.
Ces propositions pourront certes être désormais réexaminées par la mission lancée par Manuel Valls. Mais les intermittents se méfient. Ils se souviennent qu’en 2003, la concertation mise en place pour débloquer la crise avait abouti tardivement à un Fonds pour prendre en charge les intermittents exclus de l’indemnisation du fait de la réforme. Et que ce Fonds, qui avait concerné environ 30 000 personnes, n’avait pas été pérennisé.
LES BLOCAGES DE FESTIVAL, UN ARGUMENT RISQUÉ
Surtout, ils savent que c’est maintenant, en pleine saison des festivals, qu’ils détiennent l’argument massue pour faire valoir leurs revendications. Ainsi « des estimations, certes un peu anciennes, font apparaître un rapport du simple au double entre l’emploi direct lié à l’association de gestion du festival d’Avignon et les emplois liés aux services touristiques saisonniers », expliquait par exemple le rapport, publié en avril 2013, de Jean-Patrick Gille sur les métiers artistiques.
Reste à savoir si la stratégie qui consiste à continuer de menacer les festivals pour obtenir plus d’engagements de la part du gouvernement est bien la meilleure en cette période de disette budgétaire.