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« Dimanche, ça va être un truc de cow-boy. » La bataille est résumée, au comptoir d'un bistrot, par un électeur de Trèbes (Aude), à 8 kilomètres de Carcassonne. Et comme dans tout bon western, il n'y a qu'une rue principale. Avec ses 5 600 habitants, Trèbes est un « gros village » et sur l'avenue Pasteur, les places politiques sont chères, la compétition politique redoutable.
Au premier tour, ils n'étaient pas moins de cinq candidats. Tous, ou presque, avaient installé leur permanence dans un local de cette artère de 250 mètres qui relie le canal du Midi à l'Aude.
Au 53, Eric Ménassi revendique « la meilleure vue », celle face au canal, classé patrimoine de l'Unesco, et où les bateaux de plaisance sommeillent en attendant la belle saison. C'est aussi celui qui a le moins de chemin à faire à pied pourrejoindre la mairie. A l'issue du premier tour, le candidat investi par le Parti socialiste est arrivé en tête avec 33 % des voix.
DISSIDENCE À GAUCHE
Après la mairie, le seuil du 15, avenue Pasteur voit les allers-retours des sympathisants et colistiers de la liste « Unir et agir pour Trèbes » menée par Sébastien Ribera, frère ennemi de Menassi. Depuis qu'il a rendu sa carte du PS, en refusant la primaire avec son adversaire qu'il a accusé de magouillages face à l'afflux de nouveaux adhérents, ce rugbyman, ancien d'EDF-GDF, revendique haut et fort sa « sincérité » et son indépendance politique. « J'ai toujours eu des idéeslarges, affirme-t-il, des valeurs sociales, mais aussi de sécurité et de valeur travail. »
Cet appel du pied sur sa droite prend des consonnances tout à fait opportunistes, quand, au bout de l'avenue Pasteur, juste avant le pont qui enjambe l'Aude, plane l'ombre de l'ultime adversaire de ce qui sera une triangulaire, dimanche. Christophe Barthès, agriculteur, a fixé sur les fenêtres d'une bâtisse familiale ducentre-ville deux affiches à son effigie, frappées du logo du Front national.
21-AVRIL À DROITE
A l'issue du premier tour, quatre voix le séparaient de Sébastien Ribera, avec 22 % des suffrages. Le Front national n'a pas fait le plein de voix, lui qui a été capable demobiliser 27 % des électeurs trébéens au premier tour de la présidentielle. Mais les voix des électeurs de droite ont été partagées entre les listes de deux conseillers municipaux sortants. Franck Alberti et Denis Navals, divisés pourprendre la succession d'un maire de droite lâchant son poste après vingt-six ans de règne, ont préféré s'affronter que de s'unir.
De part et d'autre du pont, leurs permanences ont fermé. Mais c'est là que les clés du second tour se trouvent. Que vont faire leurs électeurs dans ce qui ressemble à leur 21-avril à eux ? Sur le parking d'un supermarché, un homme soupire : « Entre deux candidats qui sont les mêmes et celui du Front national... » Il hausse les épaules et soupire : « Vraiment, je ne sais pas ».
Tout se jouera dans le report des voix, et la chasse aux électeurs a été ouverte en début de semaine. Si Franck Alberti, le dauphin du maire sortant, était en position de se maintenir à l'issue du premier tour, il a préféré retirer sa candidature. Sansafficher de préférence, il a uniquement dit qu'il « n'appelerait pas à voter extrême droite ». En coulisse, son rapprochement avec Sébastien Ribera fait peu de doute. Si, officiellement, il ne dit rien, il pourrait agir discrètement en sa faveur, tandis que le candidat toujours en lice met en avant les points les plus à droite de son programme.
A ce stade de la campagne, c'est la bataille des réseaux qui fait rage. Celui de Menassi, c'est le club de foot, où l'on attend « dimanche » en rêvant à « un nouveau terrain synthétique », tandis que Sébastien Ribera, dirige, lui, le club derugby.
LES ABSTENTIONNISTES AU STABILO
Les candidats en sont contraints à des comptes d'apothicaires. « Il y a 900 voix à se partager, résume Eric Menassi, les 700 des deux candidats de droite et 200 de gens qui se sont abstenus et qui iront voter au deuxième tour. »
Ce sont ces derniers que les deux camps en tête au premier tour visaient en début de semaine. Mardi matin, au 15 et au 53, avenue Pasteur, on épluchait les mêmes listes d'abstentionnistes, récupérées en mairie, où, au stabilo, on repérait l'adresse de ceux qui n'étaient pas allés voter, et ceux dont on connaissait un parent, un voisin, un ami.
Dans ces deux camps, les mêmes quartiers-clés sont visés dans cet entre-deux-tours. « L'aiguille », d'abord, à gauche sur la route de Carcassonne. C'est le quartier « populaire » ou « maghrébin » de la commune, avec ses petits ensembles de quatre niveaux où, selon les camps, on dit que « des voituresbrûlent » ou que c'est « comme ailleurs », où l'insécurité n'est pas supérieure à celle d'autres villes.
La main posée à l'horizontale sur la tête pour protéger son brushing de la pluie, Laëtitia Laroche, huitième sur la liste socialiste court de sonnette en sonnette dans ce quartier, où la gauche sait qu'elle a des voix à prendre. « C'est dans l'abstention des quartiers populaires que les socialistes ont perdu le plus de voix », analyse Emmanuel Négrier, politologue à l'université de Montpellier.
Carte de Trèbes en main, scannée dans un calendrier des PTT, Laëtitia Laroche et deux colistisers se cassent les dents ce jour-là. Impossible de trouver les noms correspondants à ceux inscrits sur les listes électorales sur les sonnettes. A d'autres endroits, les volets sont fermés, indiquant que les personnes recherchées n'habitent plus aux adresses indiquées. Ce n'est pas chez les « mal inscrits », ceux qui n'ont pas changé leur inscription sur les listes électorales en déménageant, que les socialistes trouveront leurs voix.
LA MOSQUÉE, L'ABATTOIR HALLAL ET LES RUMEURS
A Trèbes, il y a un autre quartier-clé, celui des « nids ». Des habitations adaptées aux personnes âgées, un électorat crucial dans une commune où les plus de 60 ans constituent 30 % de la population. Un électorat à convaincre quand il ne l'est pas déjà, alors que dans le département il constitue, selon Emmanuel Négrier, une bonne partie de l'audience du Front national.
« C'est simple, résume un commerçant, si on écoute les gens il faudrait un peu de tout : l'argent de Menassi, la sécurité du candidat du Front national... » L'argent de Menassi ? Le candidat le reconnaît, il a fait campagne sur son affiliation politique aux majorités socialistes qui tiennent les conseils général et régional et doiventfaciliter l'accès de Trèbes à certaines subventions, s'il l'emporte. Un argument qui lui vaut les attaques de ses adversaires, qui lui reprochent d'avoir forcé sur la promesse électorale et hurlent au clientélisme.
Dans un western, il ne suffit pas de chasser, il faut aussi savoir tirer. Et à ce jeu là, même les coups les plus bas sont permis à quelques jours du deuxième tour. Difficile de croire au hasard quand le candidat socialiste déboule dans un café pour nous alpaguer. « Il y a trois rumeurs qui circulent à mon sujet et qui ne me plaisent pas : non je ne vais pas faire construire de mosquée à Trèbes, non je ne promets pas d'emploi, non je ne vais pas faire venir un abattoir hallal. » Ces rumeurs, on en a entendu certaines, on a entendu d'autres, tous bords confondus.
Au Petit Creux, où le patron affiche au mur son soutien au candidat du Front national à côté de celui à Marine Le Pen, un habitué rappelle ainsi sans complexe combien Menassi, petit-fils d'immigré italien « a toujours dit qu'il se sentait plus Italien que Français ». « D'ailleurs, ajoute-t-il, il supportait l'Inter de Milan ».