Comme après l'attentat d'Ankara en octobre dernier, ou encore l'été dernier après celui de Suruç, le gouvernement turc a interdit temporairement aux médias de diffuser des images concernant l'explosion meurtrière survenue mardi matin à Istanbul dans le quartier touristique de Sultanahmet. Douze personnes, dont onze touristes allemands, ont été tuées près de la basilique Sainte-Sophie et de la Mosquée bleue. Toute la journée, et le soir encore, la police quadrillait le quartier Sultanahmet, tenant de fait à distance les journalistes. Si la piste terroriste a été confirmée par les autorités turques, la confusion règne sur les conditions précises de l'attaque et l'identité du kamikaze.
Un décret d'interdiction
Peu après l'explosion, la loi turque n°6112 «sur la création des compagnies de radio et de télévision et sur la prestation de services médiatiques» datée de 15 février 2011 a été complétée par l'interdiction temporaire, pour les médias nationaux, de publier toute information sur l'attentat perpétré dans le quartier de Sultanahmet. Cette interdiction, décrétée «au nom de la sécurité nationale», est entrée en vigueur ce jour même, comme l'a rapporté la chaîne de télévision turque CNN Türk.
L'interdiction ne semblait toutefois pas s'appliquer intégralement: certaines chaînes turques ont pu faire des directs peu après l'explosion, sans être inquiétées.
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Cette censure peut surprendre. Mais pas en Turquie. «Les black-out médiatiques sont presque systématiques lorsqu'il y a des attentats. Les journalistes turcs y sont habitués» explique au Figaro Emre Demir, rédacteur en chef à Paris du journal turc Zaman. «Le premier ministre demande au procureur qui publie une directive. Depuis deux ou trois ans, il y a eu une quarantaine de décision en ce sens», affirme le journaliste turc.
«Rien sur l'attentat»
«Cela permet au pouvoir de manipuler l'information et d'empêcher que la population n'ait accès à des informations qui seraient gênantes pour le gouvernement», explique Emre Demir. En Turquie, plus de 90% de la population s'informent via les chaînes d'informations, et 13% via les journaux. «Le contrôle des images, des chaînes de télévision est très important pour le pouvoir turc», souligne Emre Demir, qui précise que la censure ne concerne pas seulement les images. Par exemple, «les médias contrôlés par le gouvernement parleront d'explosion plutôt que d'attentat», explique-t-il.
«J'ai regardé les chaînes turques aujourd'hui. Il n'y avait rien sur l'attentat. Sauf lorsque Erdogan a pris la parole. Là, ses propos ont été diffusés» assure le rédacteur en chef de Zaman. Le président turc, puis son premier ministre Ahmet Davutoglu, ont en effet confirmé la piste terroriste lors d'une conférence de presse, un peu moins de deux heures après l'explosion. Ils ont précisé que l'assaillant était un membre de Daech.
Après cette nouvelle tragédie, en essayant ainsi de maîtriser les médias, le pouvoir turc essaye de poser un voile sur «la faille sécuritaire, mais aussi l'implantation de Daech en Turquie, conséquence de sa politique étrangère» conclut Emre Demir. Et économiquement, ajoute-t-il, les autorités ont tout intérêt à ne pas faire trop de publicité sur ce nouveau coup dur pour le tourisme en Turquie.