Des militaires des forces spéciales dans l'hôtel Radison de Bamako au Mali lors de l' attaque terroriste du 20 novembre 2015.
Tout concorde : le calendrier , la cible, le déroulement. L’attaque contre le Radisson Blu de Bamako , avant même sa conclusion , avait rempli son cahier des charges. Frapper , dans un grand hôtel , des expatriés de nombreuses nationalités, des hommes d’ affaires , l’élite locale malienne, des équipages de compagnies aériennes, le tout en plein centre de la capitale d’un pays, le Mali , où se mène une part importante de la guerre de la France contre les réseaux djihadistes de la région Sahel- Sahara.
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Le tout dans un périmètre bien protégé – en théorie –, en raison des nombreuses alertes attentats des mois et années écoulées. Faire ainsi la démonstration de la vulnérabilité de la capitale. L’attentat de Bamako a été conçu pour atteindre la dimension tragique et reconnaissable des « grands attentats », qui attirent l’ attention du monde et bousculent les sensibilités, comme l’ont été ceux commis en France , le vendredi 13 novembre.
La différence est criante avec l’attaque, en août, d’un hôtel à Sévaré, dans le centre du pays, visant des contractuels de la mission des Nations unies (Minusma) puis l’attaque de camps de casques bleus, et d’autres encore qui s’égrènent au fil des mois et font de la Minusma la mission avec les plus fortes pertes humaines de la planète . Les treize morts de Sévaré n’avaient pas la force d’ impact de l’ assaut sur le Radisson Blu , qui a attiré l’attention mondiale, même si, à la différence des attentats de Paris une semaine plus tôt, il ne peut être attribué à l’ Etat islamique (EI).
Mokhtar Belmokhtar, « le borgne »
La revendication a eu lieu dans l’après-midi, alors que la prise d’otage n’était pas terminée. Elle émanait du groupe Al-Mourabitoune, dont le chef est le chef djihadiste le plus célèbre de la bande saharienne , Mokhtar Belmokhtar. Le « borgne », responsable de multiples enlèvements et attaques (dont celles d’In Amenas, en Algérie , en 2013), a été la cible d’un tir américain en juin à Ajdabiya, dans le « croissant pétrolier » en Libye , au bord de la Méditerranée . Il semble qu’il ait survécu.
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La création d’Al-Mourabitoune a été annoncée en août 2013, sur la base de la fusion des Signataires par le sang, la formation de Mokhtar Belmokhtar à l’époque , issue d’une scission d’avec Al-Qaida au Maghreb islamique ( AQMI ), avec d’autres composantes djihadistes, regroupées dans le Mujao (Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest). Une mouvance dont la place forte était encore Gao, quelques mois plus tôt, d’où les forces françaises de l’opération Serval, appuyés par des forces spéciales maliennes, l’avaient chassé.
A l’époque, joint au téléphone par Associated Press , le porte parole de Mokhtar Belmokhtar expliquait pourquoi le chef d’Al-Mourabitoune avait pris ses distances avec AQMI pour créer sa propre formation, tout en conservant des liens très forts avec la branche centrale de l’ organisation : « Il nous est plus facile d’opérer sur le terrain en ayant quitté formellement ce groupe [AQMI] , qui demeure lié à l’appellation « Maghreb ». Nous voulons élargir notre zone d’opérations à travers tout le Sahara, allant du Niger au Tchad , y compris au Burkina Faso. »
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Depuis, de nombreux lieutenants ou alliés de Belmokhtar ont été tués, surtout par la France. « Il est indiscutable qu’Al-Mourabitoune est affaibli » , note Mathieu Pellerin, chercheur associé à l’IFRI ( Institut français des relations internationales ). Pour autant, note le spécialiste de la région, « pour la deuxième fois, Al-Mourabitoune frappe en plein cœur de Bamako et démontre surtout sa capacité à frapper l’hôtel le plus fréquenté par les Occidentaux. »
« Pour la deuxième fois, Al-Mourabitoune frappe en plein cœur de Bamako et démontre surtout sa capacité à frapper l’hôtel le plus fréquenté par les Occidentaux »
Dernier attentat en mars
La précédente attaque à Bamako revendiquée par Al-Mourabitoune avait visé en mars 2015 La Terrasse, un restaurant -boîte de nuit de plein air . L’attaque de l’hôtel Byblos à Sévaré, quant à elle, avait été revendiquée à la fois par le groupe de Belmokhtar et par Ansar Eddine, celui d’Iyad Ag Ghali. Fait important, l’ auteur du communiqué de Ansar Eddine était Souleymane Mohammed Kennen. Un homme proche du groupe Al-Mourabitoune, puisqu’il avait fait partie de la katiba de Belmokhtar en 2012, mais aussi d’un responsable du dernier né de la galaxie djihadiste opérant au Mali, le Front de libération du Macina (FLM).
Il y a quelques mois, Mohamed Dicko, originaire de Niafunké (vers le centre), avait annoncé la création de ce FLM, supposé représenter , pour le Sud du pays, ce qu’Ansar Eddine était pour le Nord : une branche locale, bien implantée, capable d’exécuter des opérations ou, à tout le moins, « d’incarner » sur place une organisation comme Al- Qaida.
Derrière le FLM se profile Iyad Ag Ghali, ex-figure des mouvements arm és touareg, ex- diplomate bon vivant , notable frustré du clan touareg des Ifoghas, dont il aurait voulu devenir le chef, devenu un des piliers de la tendance djihadiste dans le Nord du Mali. Il est chef d’un groupe qui a d’abord navigué entre la mouvance indépendantiste et le djihadisme. Deux de ses fidèles lieutenants sont les dirigeants influents du HCUA (Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad), assis à la table des négociations parmi la CMA (Coordination des mouvements de l’Azawad), qui regroupe les mouvements associés au processus de paix opposés au camp du pouvoir central .
Acheter la paix au Mali
Or, le 20 juin, à Alger , la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) a finalement signé un accord de paix avec Bamako ouvrant la porte à un retour à la normale de la moitié Nord du pays, qui vit en état de scission depuis 2012. Mais de cette normalisation, Iyad Ag Ghali ne veut pas. Alors qu’il se trouve, selon les moments, quelque part entre la Libye, la frontière algérienne et peut-être dans les environs , dans l’Adrar des Ifoghas, de sa ville d’Abeïbara, il a fait diffuser un message il y a quelques jours pour appeler à s’opposer à cette perspective de paix.
En dépit de l’apparente complexité des réseaux de groupes djihadistes dans la région, des regroupements peuvent être faits. « Al-Qaida, c’est ce qu’ils sont. Techniquement, ce sont des franchises avec des réseaux, et des messagers qui circulent sans utiliser de moyens de communication. Les noms différents sont aussi des tactiques pour brouiller les pistes », analyse Jacob Zenn, spécialiste des groupes terroristes du Sahel pour la fondation Jamestown.
La complexité des groupes de cette région est donc le reflet de certaines divisions, mais aussi de l’autonomie indispensable des formations djihadistes, depuis que l’opération Serval, en 2013, les a privés de leur sanctuaire au Nord Mali. Mais parfois, cela va plus loin. Ainsi, une petite aile dissidente de Al-Mourabitoune dirigée par Adnane Abou Walid al-Sahraoui, a tenté, le 13 mai, une allégeance à l’Etat islamique. Très vite, « le borgne » a contredit Al-Sahraoui, réaffirmant ses liens avec Al-Qaida. Depuis, des factions rivales au sein d’Al-Mourabitoune ont connu plusieurs échauffourées. La France est peut-être « l’ennemie », mais entre les affiliés à Al-Qaida et l’Etat islamique, ce n’est pas l’union sacrée.
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