Ces jours-ci, François Hollande demandait conseil aux uns et aux autres, qui s’y connaissent en chansons : « Tu as une idée de ce qu’on pourrait faire jouer ? » Jacques Brel et Barbara ont fini par l’emporter, avec Beethoven, Bach, Verdi et plusieurs interprétations de La Marseillaise. Faire résonner dans la cour d’honneur de l’Hôtel national des Invalides « cette musique qui est insupportable aux terroristes », comme l’a souligné dans son discours le président de la République, c’était le plus juste hommage à rendre à cette « génération Bataclan », aux amateurs de concerts et de cafés parisiens, aux 130 victimes et aux centaines de blessés des attaques du 13 novembre.
Dès 10 heures, vendredi 27 novembre, quelque 2 500 invités commencent à prendre place sur les gradins disposés sur toute la longueur de la cour d’honneur de l’Hôtel national des invalides. Les familles, les proches des victimes, les secouristes arrivent les premiers. Des victimes elles-mêmes sont là : les personnes installées au premier rang sur des fauteuils roulants et sur des brancards, enveloppées de couvertures noires, rappelant que l’indispensable litanie des morts a tendance à occulter celle de blessés, pour qui la vie ne sera jamais plus comme avant.
Les photos défilent
Des personnalités passent continûment le porche de la cour d’honneur, à pied, pour prendre place sur les gradins. Membres du gouvernement, parlementaires, représentants des institutions, responsables des partis politiques, anciens premiers ministres… Nicolas Sarkozy, seul ancien président de la République à assister aux cérémonies officielles depuis que Valéry Giscard d’Estaing et Jacques Chirac y ont renoncé, est au premier rang.
Les photos des victimes défilent sur le grand écran tendu au fond de la cour, et Jacques Brel les accompagne, « Quand on n’a que l’amour », chantent Yael Naim, Camelia Jordana et Nolwenn Leroy. Et voilà Barbara, interprétée Natalie Dessay : « Car un enfant qui meurt, au bout de vos fusils, est un enfant qui meurt… »
Les noms s’égrènent, les chiffres glacent
Commence la longue liste, tragique, douloureuse. Les noms des victimes sont déclamés un à un dans le silence, par ordre alphabétique, avec aucune autre mention que celle de leur âge. « Stéphane Albertini, 39 ans. Nick Alexander, 36 ans… » Les chiffres glacent. La majeure partie d’entre eux ont une trentaine d’années, parfois beaucoup moins.
Tout le monde s’est levé pour les écouter. Debout, la foule sombre s’agite soudain d’un étrange mouvement de petites tâches blanches : ce sont des centaines de mains qui se lèvent pour essuyer les yeux.
Une fois achevé l’horrible inventaire, le président traverse la cour et rejoint la tribune d’où il prononcera la phrase entre toutes à laquelle il tenait : « Ils étaient la jeunesse de France ».
« Ces femmes, ces hommes venaient de plus de cinquante communes de France, de villes, banlieues, villages, ils venaient aussi du monde (…) ces femmes, ces hommes étaient la jeunesse de France, la jeunesse d’un peuple libre qui chérit sa culture. »
« Malgré les larmes, cette génération est aujourd’hui devenue le visage de la France », a déclaré le chef de l’Etat en conclusion de son discours.
M. Hollande dit encore : « Après avoir enterré les morts, il nous faudra réparer les vivants », en regardant « les parents qui ne verront plus leurs enfants, les enfants qui grandiront sans leurs parents, les couples brisés, les frères et sœurs à jamais séparés, tant de blessés marqués à jamais. »
Disant sa « confiance dans la génération qui vient », le chef de l’Etat l’a invitée à affronter la « dureté du monde » en « inventant un nouvel engagement ».
« Je sais que cette génération tiendra solidement le flambeau que nous lui transmettons. Je suis sûr qu’elle aura le courage de prendre pleinement en main l’avenir de notre nation. Le malheur qui a touché les martyrs du 13 novembre investit cette jeunesse de cette grande et noble tâche. La liberté ne demande pas à être vengée mais à être servie. »
Le président s’en va, seul, à pied, sur les pavés
Le président a terminé. Les photos des victimes défilent à nouveau sur l’écran. Comment conclure la cérémonie ? La cour des Invalides est figée quelques minutes dans l’immobilité et le silence. Une voix, en régie : « Envoie La Marseillaise, s’il te plaît ». Fin de l’hymne. À nouveau, l’incertitude.
« Le président va se déplacer et va saluer les familles, on peut faire sortir les carillons », dit la voix en régie. Mais non. Le président, visiblement ému, ne va saluer personne. Il descend de l’estrade et s’en va. Seul, à pied, sur les pavés. La solennité et le silence pétrifient autant que le froid glacial.
Petite inquiétude en régie : « Là nous sommes dans l’attente de voir ce qui se passe… le président ne salue pas les familles, on ne sait pas ce qu’il va faire… Non, il s’en va. Il sort. On envoie la musique ?… Non, d’après Frédéric, pas de musique. Frédéric, t’es sûr, pas de musique ? Bon, pas de musique. On laisse le silence. L’ambiance est trop lourde. »
Les proches des victimes et les blessés commencent à quitter les gradins. Côté gouvernement, Manuel Valls s’en va le premier, suivi par Nicolas Sarkozy au côté du président du Sénat Gérard Larcher, puis par le président de l’Assemblée Nationale Claude Bartolone.
Une musique finit tout de même par résonner dans la cour. « Le chœur des esclaves », de Verdi. Même en régie, la rigueur millimétrée de la cérémonie s’est fait doubler par l’émotion.