Correspondant à Jérusalem
Une délégation palestinienne conduite par le ministre des Affaires étrangères, Riyad al-Maliki, doit être reçue jeudi après-midi à la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye. Un dossier de plusieurs centaines de pages y sera remis au bureau du procureur Fatou Bensouda afin de nourrir l'examen préliminaire ouvert, le 16 janvier dernier, sur les crimes présumés commis depuis un an dans les territoires palestiniens. «Cette démarche marque la fin de l'impunité dont Israël jouit, depuis 1948, au regard du droit international, estime le député indépendant Moustafa el-Barghouti, qui siège au sein du comité mis en place pour suivre les travaux de la Cour. Les responsables militaires, politiques et économiques de ce pays vont maintenant devoir rendre des comptes.»
Le dossier palestinien vise à convaincre le procureur que des violations du droit international suffisamment graves pour justifier la saisie de la CPI ont été commises en Cisjordanie, à Jérusalem-Est et dans la bande de Gaza. Le procureur, qui n'a pour l'heure pas ouvert d'enquête en bonne et due forme, cherche à déterminer si les conditions sont réunies pour s'engager dans cette direction. Elle devra notamment décider si la Palestine a qualité pour déclencher les investigations de la Cour - ce qu'Israël conteste en rappelant qu'il ne s'agit pas, à ses yeux, d'un État de plein droit.
Le comité palestinien, qui regroupe des représentants de l'OLP (Organisation de libération de la Palestine) et du Hamas, ainsi que de l'appareil sécuritaire et de la société civile, a constitué son dossier avec l'aide de juristes internationaux familiers du fonctionnement de la CPI.
«Rompre le silence»
Ce dossier vise notamment à caractériser les violations du droit international perpétrées dans le cadre de la colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Les données recueillies par diverses ONG, ainsi que des photographies aériennes communiquées aux Palestiniens, leur ont permis de quantifier en détail le nombre de constructions autorisées, mises en chantier et achevées depuis le 13 juin 2014. Leur dossier souligne que le gouvernement israélien a donné son feu vert à la construction de 2600 logements dans le quartier de Givat Hamatos, au sud de Jérusalem. Cette colonie est particulièrement controversée dans la mesure où elle menace d'isoler totalement le quartier palestinien de Beit Safafa. «Mais les crimes israéliens ne se limitent pas à la construction de logement, soutient Moustafa al-Barghouti. Nous visons aussi les déplacements forcés de population, l'annexion et l'appropriation illégale de terres, la construction du mur, la destruction de propriétés et la création d'un système d'apartheid…»
Les Palestiniens entendent également attirer l'attention de la Cour sur le déroulement de la dernière opération militaire à Gaza, qui a fait plus de 2200 morts durant l'été 2014. Ils ont versé à leur dossier le rapport de l'ONG israélienne Breaking the silence («Rompre le silence»), dans lequel d'anciens soldats dénoncent un usage indiscriminé et disproportionné de la force durant ce conflit. Le rapport publié cette semaine par la commission d'enquête indépendante de l'ONU sera également transmis au procureur Bensouda. Ses auteurs estiment que les mécanismes mis en place par l'État hébreu pour faire la lumière sur les violations du droit commis pendant la guerre sont insuffisants. Ils déplorent notamment que l'enquête sur la mort de quatre garçons foudroyés par des frappes israéliennes alors qu'ils jouaient sur la plage ait récemment été classée sans suite. Ils encouragent la CPI à se pencher sur les suspicions de crimes de guerre imputables à Tsahal ainsi qu'au Hamas.
Les autorités israéliennes, invitées par la Cour à communiquer les informations qui leur semblent pertinentes, n'ont pas encore fait connaître leur réponse. Elles s'interrogent sur la meilleure stratégie à adopter pour contrer l'initiative palestinienne, qu'elles assimilent à une déclaration de guerre. N'étant pas membre de la CPI, l'État hébreu ne dispose d'aucun levier direct pour défendre son point de vue au sein de cette juridiction. Il n'a pas encore indiqué s'il délivrerait un visa à l'équipe que la Cour envisage d'envoyer, d'ici à la fin juillet, dans les territoires palestiniens.