L'alternance se passe aussi sur Internet. Si la gauche continue de dominer la blogosphère politique française, l'année 2012 montre que la dynamique, elle, est passée à droite, même si ce bloc tend à se diviser en plusieurs tendances. Qu'ils s'appellent Opposition républicaine ou MdameMichu, blogs et sites tenus par des militants ou des sympathisants de l'UMP contre le pouvoir socialiste se multiplient, tandis que les blogueurs piliers de la "gauchosphère" qui ont mené durant cinq ans un combat quotidien contre Nicolas Sarkozy hésitent entre soutien à la nouvelle majorité et critique.
Internet, contre-média politique. L'institut Linkfluence établit depuis cinq ans une cartographie annuelle de cette blogosphère : à partir des liens que font entre eux sites et blogs politiques, un algorithme génère automatiquement une cartographie qui "fait émerger des proximités entre les sites qui sont au final des proximités idéologiques et communautaires, d'interaction et d'échange", explique Guilhem Fouetillou, cofondateur de Linkfluence.
La carte montre ainsi une domination certaine des blogs et sites de gauche ou proches du PS, qui occupent toujours 46 % du corpus, malgré une stagnation, voire un léger recul. Elle montre aussi la dynamique qui se poursuit à l'extrême droite, zone en constante progression depuis 2007, et qui représente désormais 14 % du corpus. Mais c'est surtout à droite que le changement est marqué. "On assiste à une croissance du Web de droite. Le fait que la gauche arrive au pouvoir a donné un électrochoc à la droitosphère qui se motive pour aller bloguer", explique M. Fouetillou.
Une "droitosphère" que l'opposition réveille. De fait, depuis le 6 mai, sites et blogs tenus par des sympathisants de droite ou des militants UMP se multiplient, à l'instar d'Opposition républicaine, site monté par deux entrepreneurs accueillant des contributions de sympathisants de tous bords. Créé le 7 mai par Olivier Degioanni, ancien informaticien reconverti dans l'événementiel et sympathisant UMP, ce site se veut une "plateforme de diffusion pour que les gens s'expriment". Riche de 150 contributeurs, le site publie six à sept articles par jour.
En huit mois d'existence, il est proche du million de visites, un score plutôt bon pour un site amateur. Se réclamant "de droite", M. Degioanni a pris sa carte de l'UMP "pour les primaires", mais se dit "en guerre contre l'organisation malsaine de l'UMP". Il ne s'en cache pas, sa démarche s'inspire de la gauche et de sa pratique d'Internet : "On peut en dire ce qu'on veut mais la gauche a une culture du militantisme que la droite n'a pas." Quant à cette soudaine croissance de la "droitosphère", il s'en amuse : "Trouver des gens révoltés est plus facile que d'écrire pour dire 'j'aime bien ce qu'il fait'."
"Anti-hollandisme" et ponts avec l'extrême droite. Si son site essaye de faire dans la critique "de fond" et "s'interdit de tomber dans la facilité de taper sur 'Flanby'", le sobriquet dont les sympathisants de droite affublent souvent François Hollande, d'autres ont moins de scrupules. De sa cravate de travers à sa compagne en passant par ses tics de langage, le "Hollande bashing" fleurit dans la blogopshère de droite, comme l'antisarkozysme avait servi de ciment à celle de gauche entre 2007 et 2012. A cet égard, la carte montre une forme de "balkanisation" de l'UMP, qui se divise en deux pôles, explique M. Fouetillou : "Alors que l'univers militant reste satellisé autour du parti et des blogs de personnalités de l'UMP", une autre droite émerge, celle des sympathisants, qui "a des interactions à la fois vers l'extrême droite et la gauche, dans une logique de débats".
La querelle fratricide entre MM. Copé et Fillon a laissé des traces chez les militants. Mais au-delà des personnes, on retrouve au sein de la "droitosphère" des pôles qui incarnent bien deux droites différentes. D'un côté, une polarisation autour des questions économiques et de fiscalité émerge, notamment dans la sphère des blogs (ultra) libéraux. De l'autre, une droite plus conservatrice, concentrée sur des questions de société, comme le mariage entre personnes de même sexe. Cette seconde droite s'incarne par exemple dans le blog de l'éditorialiste du Figaro Yvan Rioufol, très consulté, ou encore sur le blog de l'ex-député UMP Christian Vanneste.
Une gauche qui hésite entre soutien et critiques. Si la droite se réveille, la gauche, elle, découvre la gueule de bois des lendemains de victoire. Habituée à critiquer le gouvernement en place, la "gauchosphère" a du mal à trouver son rôle dans la majorité, d'autant que les premiers mois de l'équipe Hollande n'ont pas toujours été des plus appréciés, y compris dans son camp.
Ex-tenancier de "Sarkofrance", une chronique détaillée, semaine après semaine, des cinq ans du mandat de Nicolas Sarkozy, Juan a choisi le "soutien critique", quitte à devoir subir les quolibets de son propre camp. "Les critiques contre Hollande étaient tellement rapides, systématiques et violentes que l'équilibre s'est trouvé tout seul vers la fin septembre : le soutien critique. On sait que la période est et sera dure", explique-t-il. "Politeeks", du nom de son blog, anciennement "Intox 2007", a quant à lui choisi de ne pas se contraindre. "Cela pose forcément un problème de voir qu'on s'est peut-être trompé ou qu'on a cru qu'un Roosevelt se planquait derrière Hollande, alors qu'en fait on risque un Schroeder, commente-t-il. Du coup, je scrute chaque mouvement de Hollande. Je ne sais jamais facilement si je suis contre ou pour."
Les deux blogueurs se sont parfois écharpés. "Mais on a l'habitude des disputes", assure Juan, qui veut croire que "la famille reste une famille". C'est souvent le cas : la lutte contre l'ennemi politique commun se charge de resserrer les rangs, par exemple quand il faut se mobiliser pour le mariage entre personnes de même sexe.
Mais une certaine désillusion pointe. "Beaucoup de soutiens sont en mode binaire, et oublient toute nuance", regrette Politeeks. Juan, lui, estime que "notre rôle, si nous devons en avoir un, est d'éclaircir le débat politique, qui est devenu hystérique".