Gaël Brustier, chercheur en science politique et proche du PS, est l'auteur avec David Djaïz d'une note publiée en septembre par la Fondation Jean-Jaurès, dans laquelle il évoque les nouveaux "outils du combat culturel" que doit mener le Parti socialiste. Invité, samedi 5 octobre, au forum "La République face aux extrêmismes" organisé par le PS, il détaille ses propositions pour que la gauche socialiste et sociale-démocrate remporte la "bataille idéologique" face à un "bloc droitier en train de naître".
Dans votre note, vous expliquez que la gauche, malgré quelques victoires électorales, a perdu ces dernières années le combat culturel et idéologique dans une société qui s'est de plus en plus déportée sur la droite. Pourquoi ?
Gaël Brustier L'idéologie de la crise s'est imposée en France comme partout en Europe. Au-delà des seules questions économiques liées à la désindustrialisation, il y a un sentiment diffus que la civilisation européenne et plus largement occidentale serait en déclin. Cette évolution est portée par un bloc droitier composite qui va de l'extrême droite national-populiste du Front national à la droite conservatrice obsédée par l'identité qu'ont pu incarner Nicolas Sarkozy ou Silvio Berlusconi, en passant par les néoconservateurs fantasmant contre un soi-disant danger musulman.
Face à ce discours, la gauche socialiste et social-démocrate n'a pas su trouver d'imaginaire alternatif, la force de l'émancipation a perdu du terrain. La social-démocratie dont les fondements principaux étaient le plein-emploi et la co-gestion par des syndicats forts, a subi l'effet de la réalité économique des années 1980. Comme de l'autre côté le communisme s'est lui aussi effondré, ce sont les deux familles de la gauche européenne qui ont été ébranlées. Cet effondrement idéologique s'exprime notamment par le désalignement du vote ouvrier par rapport au vote de gauche depuis au moins deux décennies. En Europe, soit la gauche s'est soumise au libéralisme économique, soit elle a adopté pour partie la vision du monde néoconservatrice selon laquelle l'Occident serait attaqué, soit les deux d'ailleurs.
Vous proposez une refondation du Parti socialiste français autour de nouvelles structures très concrètes. Lesquelles ?
Les structures contribuent toujours à redéfinir la base idéologique. La société imagine déjà des alternatives, par le biais du participatif ou du collaboratif, pour préparer l'après-crise. Il faut que le PS s'en inspire. On propose notamment la création, dans chaque département, de "maisons de la gauche" rattachées aux fédérations socialistes, qui seraient les pôles locaux de la recomposition de l'idéal général.
Aujourd'hui, le PS est un parti hors-sol, le syndicalisme est en berne, les mouvements sociaux sont faibles et les associations-relais n'ont plus le même poids qu'autrefois. En développant la formation de ses cadres et de ses militants avec la mise en place d'une véritable pépinière politique, le PS peut reconquérir le terrain perdu. En développant des services non marchands, en multipliant les opérations de porte-à-porte ou de stands-up politiques dans la rue, il peut redevenir un parti de masse capable de gagner la bataille culturelle. Beaucoup de responsables, d'élus et de militants socialistes ont envie d'innover. Localement, les volontés et les initiatives sont fortes. Le PS a les moyens de répondre à ces attentes, c'est même indispensable pour lui de le faire.
Mais en devenant le parti des primaires, le PS n'est-il pas aussi devenu un simple parti de supporters ?
En s'ouvrant au peuple de gauche, les primaires ont été l'acte 1 de la rénovation. Mais les primaires sans les outils culturels et politiques peuvent effectivement être quelque chose de dangereux, fabriquant non pas des citoyens conscientisés, mais des supporters. Il y a en France un peuple de gauche privé d'outils de reconquête. Pourtant, la volonté de s'engager, même différemment, est toujours là : les primaires ont réuni plus de 3 millions d'électeurs, la Fête de l'Huma, malgré le déclin du Parti Communiste et en pleine reconfiguration de la gauche radicale, ne désemplit pas. Il y a toute une société jeune, métissée ou non, des banlieues aux campagnes en passant par le périurbain, qui aspire à un autre idéal collectif.
C'est à la gauche de le construire avec la société. Mais le contexte économique est très dur et, face à elle, la droite se réorganise avec force. Le mouvement des anti-mariage pour tous a aussi montré que l'Eglise catholique restait la dernière puissance culturelle réelle en France. La gauche, elle, n'a pas la chance d'avoir un maillage territorial de milliers de paroisses installées depuis des siècles...
Vous appelez à une refondation culturelle et idéologique du PS, en estimant qu'un nouveau congrès d'Epinay est indispensable. François Hollande, qui n'est pas connu pour être un grand idéologue, est-il capable de porter un tel projet ?
François Hollande est président de la République, il incarne la Nation française, et n'est pas là pour représenter le Parti socialiste. Son rôle n'est donc pas de promouvoir notre idéologie, mais de diriger le pays. En revanche, c'est le rôle du PS, c'est sa responsabilité. Le rôle des élus est de rappeler les militants au réel, le rôle des militants est de rappeler les élus à l'idéal. Depuis sa parution, notre note a été bien accueillie en interne, un consensus se profile par-delà tous les courants du PS. La gauche est au pouvoir, elle est confrontée à la réalité, c'est donc le bon moment pour réfléchir à quoi doit ressembler la gauche de demain. La grande rénovation idéologique du socialisme est devant nous.