L'épisode aura été rugueux mais, au bout du compte, il pourrait constituer l'acte fondateur de l'ère Valls. Confronté à une contestation dans les rangs d'un PS traumatisé par la déroute des municipales, qui dépassait largement l'aile gauche du parti, Manuel Valls a étrenné ses habits de chef de la majorité et rodé sa « méthode » avant le vote sur le plan de rigueur par l'Assemblée nationale, mardi 29 avril.
Probablement, au départ, quand, le 16 avril, prenant tout le monde de court, il a dévoilé son plan d'économies de 50 milliards d'euros sur trois ans, n'avait-il pas pris toute la mesure de l'émoi qu'il susciterait dans son camp. Cette annonce éclair, faite à la sortie du conseil des ministres, depuis la salle des conférences de presse de l'Elysée, était aussi une façon de montrer où se prenaient les décisions et que c'était lui qui donnait le tempo.
La contestation a été sans équivalent depuis le début du quinquennat, venant, d'une part, d'une frange non négligeable des députés socialistes, alliant une partie de l'aile gauche, des proches de Martine Aubry ou de Benoît Hamon, jusqu'à certains plus modérés comme le « jospiniste » Pierre-Alain Muet, qui jugeaient « dangereux économiquement » un plan de réduction de la dépense publique de 50 milliards d'euros. Et, d'autre part, d'un axe constitué autour de Valérie Rabault, la nouvelle rapporteure générale de la commission des finances, et de la députée Karine Berger, qui proposaient plusieurs « scénarios alternatifs » afin d'éviter le choc du gel des prestations sociales et du point d'indice de la fonction publique.
CIRCONSCRIRE LA CONTESTATION
Dès lors s'est déployé le dispositif de Matignon en direction de la majorité. Le premier ministre a reçu tour à tour des délégations des groupes socialiste, radical de gauche et écologiste. Avec un même message à tous : pas question detoucher aux grands équilibres sur lesquels repose la trajectoire de redressement des finances publiques – plan d'économies de 50 milliards d'euros et pacte de responsabilité de 30 milliards d'euros en faveur des entreprises –, d'accord pour le dialogue dans le cadre d'une approche « constructive », chacun doit faire face à ses responsabilités. Tout en en disant le moins possible pour ne pas donnerl'impression de zigzaguer.
Parallèlement, les responsables de la majorité ont été mobilisés pour circonscrirela contestation. D'abord, le groupe majoritaire met en avant des propositions « responsables » qui puissent servir de point d'atterrissage. La réunionextraordinaire du groupe convoquée mercredi 23, après la présentation du programme de stabilité, a servi à la fois d'exutoire aux doutes, réserves et critiques de toutes sortes, tout en permettant de cerner les points qui seraient portés par le groupe.
De leur côté, le secrétaire d'Etat chargé des relations avec le Parlement, Jean-Marie Le Guen, et le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, se chargeaient de mettre la pression sur les diverses contestations en tentant de lesmarginaliser, n'hésitant pas à dramatiser les enjeux. Un travail minutieux qui, s'il a permis d'en ramener certains au bercail, a pu en agacer d'autres.
COMMUNICATION PARFAITEMENT VERROUILLÉE
Le dernier épisode s'est joué durant le week-end pour peaufiner la mise en scène du lundi, avec une communication parfaitement verrouillée. Acte I : la délégation du groupe socialiste conduite par son président, Bruno Le Roux, est à nouveau reçue à Matignon. A la sortie, elle se félicite des « mesures fortes » qui vont êtreannoncées par M. Valls et se réjouit que le premier ministre ait « entendu » les parlementaires. « Un équilibre a été trouvé entre les économies, le maintien dupouvoir d'achat et les retraites, ce n'est pas rien. Cela va faire basculer vers le vote plusieurs députés qui jusqu'à présent hésitaient », estime Valérie Rabault.
Acte II : Manuel Valls adresse aux parlementaires de la majorité une lettre de quatre pages solennisant le vote, « qui est tout sauf indicatif, mais décisif », auquel ils sont appelés mardi 29. « C'est un moment important. Déterminant même, pour la réussite de notre pays. C'est un moment de vérité », écrit-il, avant de conclure :« C'est un rendez-vous majeur. Il nous oblige à nous dépasser. Avec courage. Je ne doute pas qu'ensemble nous saurons répondre présents. »
Acte III : réunion extraordinaire du bureau national du PS, lundi soir. Avec 31 voix « pour » et 15 « contre », le plan Valls ne fait toujours pas l'unanimité. Ce rapport deux tiers-un tiers devrait cependant être largement émoussé mardi à l'Assemblée, dès lors que les députés socialistes vont être « solennellement »appelés à se plier à la discipline majoritaire.
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Les récalcitrants misent encore sur une « cinquantaine » d'abstentions, selon l'aubryste Jean-Marc Germain. Les dirigeants du groupe espèrent quant à euxlimiter les défections à une trentaine de voix tout au plus. En dehors du groupe socialiste, les radicaux de gauche, se félicitant que leurs propositions aient été « reprises », annoncent qu'ils voteront le programme de stabilité. François de Rugy, coprésident du groupe EELV, estime pour sa part que « la discussion n'a pas été vaine » : « Ça évolue entre l'abstention et le pour », indique-t-il, alors que le groupe écologiste, la semaine précédente, se partageait entre l'abstention et le contre.
La semaine aura été décisive pour M. Valls. Non seulement pour obtenir une « majorité de gauche » sur ce vote mais aussi pour imprimer sa marque. « On a enfin le sentiment que quelqu'un tient le manche », résume Thomas Thévenoud, député de Saône-et-Loire. Le plan sera adopté. Néanmoins, cet épisode aura aussi mis au jour une ligne de « résistance » au sein du groupe socialiste à l'orientation que M. Valls est chargé de mettre en musique. Elle pourrait sereformer lors de l'examen des prochains textes budgétaires dès le mois de juin.