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A 58 ans, Julien Dray est l'un des fondateurs de SOS racisme. Après avoir été député de l'Essonne, il est vice-président du conseil régional d'Ile-de-France chargé de la culture. Alors qu'il a fait presque toute sa carrière au Parti socialiste, dont il est membre du bureau national, il pose un regard sévère sur l'approche du racisme par son camp politique.
Le PS et l'Elysée n'ont rien organisé pour le trentième anniversaire de la « Marche des beurs ». Que s'est-il passé ?
On aurait pu faire les dix ans, les vingt ans, on décide de faire les trente ans. C'est la sortie du film La Marche qui cristallise ces souvenirs, nostalgies ou regards critiques. Il y a un côté utile et sympathique à cet examen. Mais il y a aussi une tentative de récupération désagréable, surtout quand elle cherche à réécrire l'Histoire dans une communautarisation d'un combat qui, à l'époque, était à l'inverse un combat pour l'égalité des droits.
Le PS est-il mal à ce point sur le combat antiraciste ?
Il n'est pas mal au point dans le combat antiraciste. Là-dessus, on ne peut guère lui faire de reproches. Par contre, sans naïveté, le PS n'est pas à la pointe du combat contre les discriminations et l'affirmation d'une France métissée qui est en train d'intégrer des visages nouveaux qui paniquent certains de nos concitoyens du fait qu'ils sont musulmans.
Nous sommes totalement sur la défensive dans la compréhension et la revendication de cette nouvelle France. On ne dit pas qu'il faut organiser l'immigration, la réguler, tout en disant en même temps que c'est une chance. Du coup, quand, par exemple, on défend l'idée de quotas comme je l'ai fait en 1993, on se fait traiter de raciste.
La France est-elle plus raciste qu'avant ?
Oui et non. Dans les années 1980, il y avait du racisme à l'égard des populations d'origines étrangères ou contre celles qui n'étaient pas considérées comme françaises. Ce racisme a produit de véritables discriminations. Avec la crise économique, une ghettoïsation sociale et ethnique s'est parfois installée, suscitant révolte, rejet, violence… Mais d'un autre côté, il y a un phénomène d'intégration très avancé, beaucoup plus qu'on ne le croit. C'est ça l'erreur de la gauche, c'est qu'elle ne revendique pas cet optimisme visible dans beaucoup de secteurs économiques. Sauf, il faut le reconnaître, dans le monde politique et syndical.
Et les associations antiracistes, comment les regardez-vous ?
Elles sont en résistance et trop dans un discours traditionnel. Bombarder les rédactions de communiqués, ce n'est pas être à l'offensive. La force de SOS, au début, c'est que dès le départ on s'est conçu comme un mouvement majoritaire qui devait avoir une hégémonie intellectuelle, s'appuyant sur une réalité culturelle, sur les modes de vie de la jeunesse, sur un quotidien qui rassemblait des leaders d'opinion emblématiques.
Ces associations sont-elles devenues des coquilles vides ?
Leur caractère générationnel s'est un peu éteint et elles portent un discours qui a du mal à mobiliser. C'est évidemment lié à tout le reste : la gauche, les déceptions, un pouvoir qui joue avec les subventions. La force de SOS c'était la jeunesse, mais le temps a passé, les déceptions ont été nombreuses. Il faut retrouver les racines de départ, sortir d'une simple fonction de témoignage et d'alerte.
La gauche et le PS ont été très lents à réagir aux insultes contre la ministre de la justice Christiane Taubira. Pourquoi ?Parce que la gauche est tétanisée en ce moment. Elle ne réagit pas là-dessus comme elle ne réagit pas sur plein d'autres choses. C'est le problème d'une gauche qui ne sait pas se vivre comme une force sociale indépendante quand ses amis sont au pouvoir. Il ne faut pas déranger ceux d'en haut.
Je ne crois pas à la théorie de la banalisation du racisme. Je pense que les réflexes existent, il suffit de les réveiller. Mais après, il faut faire attention à ne pas en faire trop non plus. Car l'alpha et l'omega de la société française, ce ne sont pas les questions sociétales. Le grand frisson de la montée du fascisme m'agace au plus haut point, car il ne répond que de manière très lointaine aux problèmes actuels.
La manifestation antiraciste du 30 novembre, à l'appel de toute la gauche, est-elle l'expression d'une mauvaise conscience ?
Elle est respectable mais traditionnelle. Si, justement, on veut être à nouveau efficace, il ne faut pas s'enfermer dans les postures ou les incantations. Sinon on ne mobilise que des convaincus qui sont sympathiques mais qui ne suffisent pas. Quand nous avons créé SOS, nous l'avons fait aussi en réaction au caractère institutionnel de la lutte antiraciste. Les années ont passé, mais si nous avions à le refaire, nous utiliserions aujourd'hui beaucoup plus les réseaux sociaux. Comme par exemple ce qui a commencé à s'exprimer après l'émotion suscitée par les sifflets lors de la cérémonie commémorative du 11-Novembre.
Plus qu'une manifestation « contre le racisme », nous aurions organisé une manifestation qui valorise une République métissée. Il y a un sursaut nécessaire et des remises en question pour retrouver des forces nouvelles, des voies pour s'engager. Une génération, je pense, est prête à le faire et n'attend que l'étincelle.