Le groupe Vivendi a tranché vendredi en faveur d’Altice en choisissant d’entrer en «négociations exclusives» avec la maison mère de Numericable, pour le rachat de SFR, écartant ainsi l’offre concurrente de Bouygues à l’issue d’une semaine pleine de rebondissements.

Le conseil de surveillance de Vivendi, réuni vendredi matin, «a décidé d’entrer en négociations exclusives avec Altice pour une période de trois semaines», sur la base d’une offre qui prévoit un paiement de 11,75 milliards d’euros pour Vivendi ainsi que l’attribution de 32% du capital de la nouvelle entité, indique le groupe dans un communiqué.

Selon une source proche du dossier, le vote en faveur de Numericable s’est fait «à l’unanimité», les membres du conseil ayant apprécié un projet rapide qui donne des garanties sur l’emploi.

Le PDG d’Altice Patrick Drahi a salué cette décision dans un communiqué affirmant que les deux groupes allaient créer «un champion national et européen du très haut débit fixe et mobile».

Toutefois, à l’issue des trois semaines de réflexion, «le Conseil de surveillance se réunira à nouveau pour examiner les suites à donner et s’il doit en conséquence mettre un terme aux autres options envisagées», indique Vivendi.

Cette décision est un camouflet pour Bouygues et une véritable déclaration d’indépendance de la part de Vivendi.

En effet, Altice et Bouygues, propriétaire de Bouygues Telecom, le numéro trois du marché français, se livrent depuis le 5 mars une bataille sans merci pour convaincre Vivendi, à grand renfort de communication et de lobbying.

Bouygues s’était ainsi assuré deux soutiens de poids: Arnaud Montebourg au sein du gouvernement, et Xavier Niel, le fondateur du groupe Iliad, maison mère de Free, le trublion du secteur.

Quelques heures avant cette annonce, le ministre du Redressement productif avait encore critiqué sur Europe 1 le fait que «les dirigeants de Vivendi (aient) décidé coûte que coûte de vendre SFR à Numericable», estimant que c’était un choix «qui pose un certain nombre de problèmes et de questions».

Bouygues s’est démené toute la semaine, essayant de déminer d’éventuels problèmes de concurrence en prévoyant de céder son réseau et des fréquences à Iliad s’il remportait SFR.

Bouygues avait aussi relevé jeudi son offre de débourser 11,3 milliards d’euros en numéraire, en proposant d’octroyer à Vivendi 43% du capital de ce que serait le nouvel ensemble. Son projet valorise SFR à 15,5 milliards d’euros.

De son côté, Altice a également relevé son offre in extremis puisque dans sa proposition initiale, la société avait mis sur la table 10,9 milliards d’euros en numéraire avec 32% du capital de la société fusionnée pour Vivendi.

 

- Emplois en jeu -

 

Mais c’est l’emploi dans le secteur des télécoms, malmené par la guerre des prix depuis l’arrivée de Free en janvier 2012, qui est finalement l’enjeu majeur de la bataille.

Le gouvernement a «pris acte» de la décision de Vivendi tout en soulignant qu’il serait «particulièrement vigilant» sur la question de l’emploi, a déclaré à l’AFP le ministre de la Consommation Benoît Hamon.

La ministre déléguée à l’Economie numérique Fleur Pellerin a pour sa part tenu à rappeler à Altice sa promesse «d’inscrire ses engagements (sur l’emploi) dans les licences mobiles et engager les discussions en ce sens avec l’Arcep», l’autorité des télécoms.

«L’Etat dans ce domaine entend faire preuve d’une neutralité vigilante», dit-on à l’Elysée.

Les deux groupes concurrents se sont affrontés durant toute la semaine par médias interposés en assurant chacun être le meilleur garant du maintien de l’emploi dans le secteur.

Le PDG de Numericable Eric Dunoyer a tiré à boulets rouges sur son rival jeudi en affirmant qu'«au moins 3.000 emplois seront affectés» en cas de rachat par Bouygues du fait «de graves problèmes de doublons».

Les syndicats de SFR s’attendent, quoi qu’il arrive en cas de rachat, à des conséquences sur l’emploi.

Vanessa Jereb représentante de l’Unsa, premier syndicat du groupe qui emploie environ 9.000 personnes, a relevé vendredi que «c’était la première fois qu’on avait des dirigeants d’entreprise qui s’engageaient autant sur l’emploi».

Mais, a aussitôt ajouté la syndicaliste, «que ce soit Numericable ou Bouygues, nous attendons (...) qu’il y ait un accord formalisé» précisant notamment «la durée dans le temps» de ces engagements.

Pour Cédric Musso, l’un des responsables de l’association de consommateurs UFC Que Choisir, la victoire annoncée de Numericable «ne garantit aucunement le maintien de quatre opérateurs», car la fragilité de Bouygues n’exclut pas un futur rapprochement ou une acquisition.

De son côté, un porte-parole du numéro un du secteur, Orange, a estimé qu’un mariage Numericable/SFR pourrait créer une «position concurrentielle déséquilibrée» en France et fait «peser un risque sur le plan très haut débit».

A la clôture de la Bourse de Paris, les titres de Bouygues et d’Iliad étaient en chute respectivement de 2,93% et 4,07% tandis que celui de Numericable a bondi de 11,74% dans un marché en baisse de 0,8%.

 

AFP