Il était une fois un ours et une vieille poupée. Il a la cinquantaine, elle, pas loin du double. Il est un être fruste, elle est un îlot de finesse et de douceur. Il sait à peine lire, mais sur le banc sur lequel ils se rencontrent, elle va lui ouvrir les yeux… L’histoire est simple et son dénouement, comme un peloton dans la plaine, se voit venir de loin. Jean Becker demeure le peintre des amitiés solidaires et des sentiments désuets, pour le meilleur (Les Enfants du marais), parfois le pire (Deux jours à tuer). Mais ici, quelle fraîcheur dans les scènes où Depardieu croise le verbe avec Gisèle Casadesus. Super Gérard est en verve, avec trois bons rôles coup sur coup (Dumas, Mammuth et maintenant celui-ci). Quelle légèreté, quelle délicatesse. Il n’est jamais meilleur que lorsqu’il s’amuse; ou lorsqu’il a en face de lui des gens qui "jouent" dans tous les sens du terme, comme le fait Gisèle Casadesus.
Un phénomène, Gisèle. 95 ans. A l’heure du débat sur l’abaissement de l’âge de la retraite, un cas d’espèce. Le sujet l’intimide d’ailleurs. "Oh, vous savez, j’estime que j’ai beaucoup de chance et rien à dire sur le sujet. C’est une bénédiction du ciel, vu mon âge, que je puisse encore travailler. J’aime me dire que peut-être je représente un espoir pour ceux que la vieillesse inquiète…" Elle vous dit ça en se servant une deuxième tasse de thé de Chine. "Ça ne m’empêche pas de dormir. Et je suis debout tous les jours vers 8 h 30-9 heures…" Sur le tournage du Becker, l’été dernier, c’était parfois un peu plus tôt et ça, ça lui coûte un peu plus à Gisèle. Sacrifice largement compensé par le plaisir de retrouver le colosse de Châteauroux. "Gérard Depardieu est un homme charmant. Quelqu’un qu’on a envie de prendre dans ses bras. Il pourrait être mon fils, voire mon petit-fils, vous savez…"
"La Tête en friche est une histoire de tendresse"
Sociétaire de la Comédie-Française pendant vingt-huit ans, Gisèle Casadesus a également eu une carrière notable au cinéma. Elle a donné la réplique à Raimu (L’Homme au chapeau rond, 1945) avec lequel elle avait "une jolie scène d’émotion", dit-elle. Gabin aussi, sur le tard (Verdict, 1974), "un homme aimablement bougon et surtout grand acteur". Depardieu a-t-il sa place au milieu de ces deux-là? "Bien sûr. C’est un professionnel, qui arrive sur le plateau son texte appris. Il nous a fallu assez peu de scènes, un minimum de répétitions. Très vite, on s’est trouvé."
La façon de jouer a-t-elle beaucoup changé en soixante ans? "A l’époque, beaucoup d’acteurs de cinéma jouaient “vieux théâtre”. Avec le temps, le jeu est devenu plus naturel. Mais le revers de ce naturel est qu’au théâtre surtout certains acteurs oublient d’articuler…" Elle dit "bénir" Jean Becker qui, en 1999, lui avait donné un rôle déjà dans Les Enfants du marais. "Il m’a introduite dans des films de mon climat, dit-elle. C’est un directeur d’acteurs courtois, qui ne vous impose rien. La Tête en friche est une histoire de tendresse." Bon. Et l’avenir? Il est amusant de savoir qu’elle a le même agent que… Johnny Hallyday, ce qu’elle ignorait. "J’ai deux très jolis projets qui, j’espère, se feront, pour ceux qui ont eu le talent de les écrire." En attendant, on la verra dans Elle s’appelait Sarah de Gilles Paquet-Brenner. "Une très touchante histoire de mémoire." La sienne est intacte.