Une voix reconnaissable entre toutes, au timbre ironique et doux, vient de s'éteindre. Compagnon de générations d'auditeurs, homme de radio après avoir été comédien, José Artur, mort samedi 24 janvier, à l'âge de 87 ans, fut avant tout l'homme du « Pop Club », qu'il produisit et anima sur France Inter de 1965 à 2005. Une émission-culte, diffusée en direct et en soirée tardive, cocktail de musiques et de dialogues dont il fut, éternelle écharpe blanche autour du cou, l'inlassable ordonnateur.
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Quarante ans durant, il reçut à son Micro de nuit (Stock, 1974) des milliers d'invités, souvent déjà célèbres, souvent en passe de l'être, tant sa capacité de détection – des talents, des tendances, de l'air du temps… – était affûtée. La longévité inégalée du « Pop Club » n'est pas le fait d'un manque d'idées de son créateur, au contraire. Professionnel au large spectre, José Artur créa et anima parallèlement d'autres émissions de radio et collabora à différents programmes de télévision. Il était le père de la comédienne Sophie Artur et de l'animateur de radio et de télévision David Artur.
Blagueur, allergique à toute gravité
Né le 20 mai 1927 à Saint-Germain-en-Laye (Yvelines), José Artur est issu d'une famille d'origine bretonne et de stricte tradition catholique, mère au foyer, père officier de marine puis sous-préfet. Dès l'âge de 12 ans il est en pension chez les frères maristes. Il poursuit ses études secondaires durant l'Occupation, principalement dans différents établissements catholiques où il endosse le personnage de l'élève capable mais rétif à toute discipline.
Auteur de plusieurs livres de souvenirs (notamment Parlons de moi y a que ça qui m'intéresse, Robert Laffont, 1988), José Artur n'y est pas très disert sur sa vie privée et familiale. On y apprend qu'il a huit frères et sœurs, qu'il a été – outre de nombreuses liaisons – marié plusieurs fois, qu'il s'est séparé en 1962 de l'actrice Colette Castel, mère de Sophie Artur et s'est remarié en 1971 avec Marie-Christine, mère de David. Sur son enfance, une seule certitude émerge, par défaut : c'est qu'elle a produit un adulte allergique à toute gravité, blagueur impénitent, friand de citations caustiques et se conformant à cette maxime de La Bruyère, mise en exergue du même livre : « Il faut rire avant d'être heureux ».
Des débuts au théâtre et au cinéma
A 17 ans, après avoir été témoin de la Libération de Paris et s'être senti lui-même libéré de toute obligation scolaire, il commence à voler de ses propres ailes. Son rêve est d'être comédien. Tout en occupant un premier emploi de grouillot chez un courtier il prend des cours de théâtre. Par l'intermédiaire d'une amie de son père, c'est sa rencontre avec le célèbre comédien François Périer, dont il devient le secrétaire particulier et avec qui il se lie d'amitié qui l'introduit vraiment dans ce milieu. C'est cependant à 19 ans et comme acteur de cinéma que José Artur obtient son premier succès public en 1946 dans Le Père tranquille, film de René Clément où il incarne un jeune résistant beau gosse. Deux ans plus tard, il joue au théâtre dans Le Voleur d'enfants, de Jules Supervielle, dans une mise en scène de Raymond Rouleau. Sa carrière sur les planches, notamment aux côtés du comédien et metteur en scène Pierre Brasseur, devenu un proche, durera une dizaine d'années, jusqu'en 1959 et ne connaîtra pas d'épisode ultérieur.
Au cinéma, en revanche, il continuera d'apparaître même une fois devenu homme de radio. Il totalise une quinzaine de contributions, essentiellement des petits rôles pour des cinéastes amis. On l'aperçoit en journaliste homosexuel dans Z de Costa-Gavras (1969), il joue un commissaire de police dans Bel Ordure de Jean Marbeuf (1973), un prêtre dans Monsieur Balboss (1975) du même cinéaste, un travesti burlesque dans Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ, de Jean Yanne (1982)… Son dernier rôle sera celui d'un marchand de journaux dans Tombés du ciel, de Philippe Lioret (1994).
C'est au début des années 1960 que José Artur fait ses premières armes sur les ondes – qui seront toujours pour lui celles de France Inter – dans la tranche matinale ainsi que dans une émission magazine pour les jeunes. En février 1964, il est déjà assez connu pour devenir directeur artistique des croisières sur le paquebot France, fonction qu'il assumera jusqu'en 1968. Mais son vrai lancement – plutôt son décollage fulgurant – date du 4 octobre 1965 aux commandes du premier « Pop Club».
Un passage obligé des stars
Le mot même, « pop », est alors inconnu en France. Au service d'un contenu culturel éclectique, à la fois grand public et défricheur, José Artur installe avec cette émission un ton absolument nouveau pour l'époque, « branché » et « people » avant la lettre, mélange d'insolence, d'élégance et de désinvolture. Il y laisse libre cours à un humour pince-sans-rire, parfois ravageur, qui ne l'empêche pas d'installer sans vulgarité une certaine intimité avec ses interlocuteurs. Le tout avec la tension particulière et l'authenticité du direct.
Musiciens, chanteurs, acteurs, plasticiens, cinéastes, gens de théâtre, journalistes, intellectuels défilent au micro dans un coq à l'âne permanent. L'émission devient vite un point de passage obligé et une première marche sur l'échelle du succès. « Pipelette de luxe», comme il se désigne, José Artur accueille alors des inconnus qui s'appellent Barbara, Paco Ibanez, Robert Charlebois, Michel Berger, Julien Clerc, Véronique Sanson, Régine Deforges, Armand Gatti… La liste occuperait un annuaire ! La musique, surtout le rock et le jazz, tient une place déterminante dans le programme, non seulement à travers les invités mais aussi par le disque pop de la semaine, lancé en ouverture de l'émission. L'archétype du disque pop que l'auditeur découvre ? Hotel California, des Eagles, en 1976. Le « Pop club » est aussi le tremplin ou le lieu de l’affirmation d'une ribambelle de grands professionnels de l'audiovisuel, assistants du maître de cérémonie. Enumération garantie non exhaustive : Claude Villers, Patrice Blanc-Francard, Pierre Lattès, Eve Ruggieri, Gérard Klein, Bernard Lenoir…
<figure class="illustration_haut " style="width: 534px">image: http://s1.lemde.fr/image/2015/01/24/534x0/4562893_6_bd1b_le-comedien-et-animateur-de-radio-jose-artur_41c5be26588d80cfcc1e4f20093f9ece.jpg
</figure>En 1971, José Artur est écarté de l'antenne pendant six mois, accusé de publicité clandestine pour avoir cité au micro une marque de vodka. Les confrères et l'intelligentsia pétitionnent et il est finalement rétabli dans ses fonctions. D'une décennie à l'autre, à des horaires plus ou moins tardifs et sur des durées variant au gré des circonstances et des directions, le « Pop Club » va persister et se renouveler. L'émission est dotée d'inoubliables et changeants génériques, notamment le fameux « 24 heures sur 24, la vie serait bien dure… » par Les Parisiennes sur une musique de Claude Bolling et, dans les années 1980, celui de Serge Gainsbourg et Jane Birkin, « Pour oublier le passé, le futur, voici le Pop Club de José Artur… »
Serge Gainsbourg, générique du Pop Club de José... par ATTACHEE-PRESSE13
Les lieux de sa réalisation changent aussi : d'abord le bar du théâtre Le Ranelagh, puis le Bar noir, au cœur de la Maison de la radio ; puis le Fouquet's aux Champs-Elysées, sans oublier l'hôtel Palm Beach de Cannes en été, une infinité de studios installés en reportage et, jusqu'à la fin de l'émission en 2005, le Drugstore Publicis.
Une série d’émission aux noms « arturiens»
« Tous les jours, note José Artur dans un de ses livres, je travaille en m'amusant au bord de la nuit, à la limite de l'insolence souriante et de la décontraction apparente qui frise l'indifférence. » Il ne travaille pas qu'au bord de la nuit car, toujours imaginatif et sans lâcher son « Pop Club », il inscrit à son palmarès une série d'autres émissions à succès, aux noms très « arturiens » : « Qu'il est doux de ne rien faire » ; « Flirtissimo » ; « Avec ou sans sucre » ; « Table ouverte » ; « Au niveau du vécu »… Dans « A qui ai-je l'honneur ? », il doit, à l'aide de la graphologue Noëlle Robert examinant une lettre manuscrite, deviner qui est son invité dont il est séparé par un rideau et dont la voix est déformée. Le Tout-Paris des années 1980 a défilé derrière le rideau. Parmi les émissions plus récentes, il faut citer « C'est pas dramatique » (de 1996 à 2007), consacrée à l'actualité théâtrale, et la bien nommée « Inoxydable», de 2006 à 2007.
<figure class="illustration_haut " style="width: 534px">image: http://s2.lemde.fr/image/2015/01/24/534x0/4562895_6_30c7_jose-artur-lors-d-une-des-emissions-a-la_5019cee2ed8243ea2da8bef724db57f7.jpg
</figure>En 2008, à 81 ans et toujours sur France Inter, au micro de Stéphane Bern qui, plus tard, l'accueillera aussi dans « Le Fou du roi », José Artur, ce « bavard qui sait écouter », comme il s'était défini, égrenait ses souvenirs d'homme de radio pendant cinq minutes tous les matins. Le nom de cette ultime série : « C'est pas croyable ».