Déjà très actif dans la commission Energie-Climat du Grenelle de l’environnement, le climatologue Jean Jouzel est désormais l’un des six membres du comité de pilotage chargé d’animer jusqu'en juin le débat national sur la transition énergétique – un groupe également composé, après moult errements, de Laurence Tubiana, Anne Lauvergeon, Georges Mercadal, Bruno Rebelle et Michel Rollier, réunis autour de la ministre de l’Ecologie Delphine Batho.
Ce scientifique très écouté, vice-président du groupe scientifique du Giec (Groupe d'experts de l'ONU sur le climat) et co-lauréat du prix Nobel 2007, est également rapporteur, avec Catherine Tissot-Colle, du projet d’avis du Conseil économique, social et environnemental (CESE) sur la transition énergétique, rendu public ce mardi 8 janvier. Le texte d’une centaine de pages, dresse le portrait énergétique de la France et formule plusieurs de recommandations pour atteindre l’objectif d’une division par quatre des émissions de CO2 à l’horizon 2050. Tour d'horizon.
Le débat sur la transition énergétique, lancé de façon très chaotique en décembre, avance-t-il bien ? Ni François Hollande ni Jean-Marc Ayrault n’étaient présents pour le lancement des travaux…
- Très bien. Les problèmes d’acceptabilité de ce comité semblent derrière nous. Nous nous réunissons chaque lundi soir et cela se passe bien. Il y a aura sans doute, plus tard, des points de discussion, mais tout le monde a visiblement hâte que le débat commence vraiment. Une étape importante sera la première séance plénière, qui doit se tenir le 21 janvier prochain. Par ailleurs, les groupes de travail commencent à se mettre en place et sont très motivés. Certes, le président de la République n’a pas inauguré l’ouverture du débat. Mais il a fait une large place à la question de la transition énergétique dans son discours d’ouverture de la conférence environnementale en septembre. Rarement un président en avait parlé autant.
Comment le projet d’avis du CESE sur la transition énergétique, qui doit être voté le 9 janvier, contribue-t-il à ce débat ?
- Le CESE a lancé deux projets, l'un sur la transition énergétique, l'autre sur l’efficacité énergétique début 2012, c'est-à-dire avant l’élection de François Hollande et son projet de débat sur l’énergie. Mais bien sûr, on aimerait que nos travaux servent autant que possible à alimenter le débat ! Ils pourraient faire office de document de base. La synthèse des différents scénarios, les recommandations, tout cela peut permettre de gagner du temps.
De façon surprenante, vous évitez dans ce texte de mettre l’avenir du nucléaire au coeur de la transition énergétique…
- Nous écrivons que la réduction de la part du nucléaire de 75% à 50% dans le mix énergétique, promesse de Hollande, apparaît comme un choix plus coûteux à court terme que le maintient du statu quo nucléaire. Mais nous ne fermons aucune porte. Les avis de notre section au CESE étaient trop partagés pour que nous proposions un choix définitif sur l’avenir du nucléaire. Certains membres en feraient volontiers une énergie de transition, comme en Suède, mais pas tous.
Son avenir dépend selon moi de son acceptation sociale, qui ne sera pas la même selon qu’il se produira oui ou non un nouvel accident dans les 10 ans qui viennent. Et il dépend aussi de notre capacité à développer les énergies renouvelables (ENR) – ce sur quoi nous avons préféré insister dans nos recommandations.
Pourquoi un tel pari sur les énergies renouvelables ?
- L’intérêt est écologique, mais aussi économique. Le potentiel des énergies renouvelables est plus important à long terme que celui du nucléaire qui, même s’il se développe, ne représentera en 2050 que 10% des besoins. Les ENR, elles, sont porteuses de développement industriel, de compétitivité, d’emplois, d’exportations, d’innovations – sur la question du stockage de l’énergie par exemple. Nous devons faire en sorte que cette transition énergétique soit une opportunité en terme de croissance. Et pour nous aider dans ce chantier, nous avons besoin d’une politique européenne forte au niveau des investissement de départ. Il faut aussi une stabilité dans le soutien à ces énergies. La filière photovoltaïque a beaucoup souffert de la discontinuité des tarifs de rachats de l'électricité ces dernières années.
Au niveau mondial, la mode est plutôt aux gaz de schiste... Or vous n’en parlez quasiment pas. Est-ce parce que Hollande leur a fermé la porte ?
- Nous avons effectivement pris note du choix de François Hollande de ne pas parier sur leur exploitation, même s’il faut poursuivre les recherches. Mais surtout, si l’on veut diviser les émissions de CO2 par quatre d’ici 2050, il faut réduire drastiquement la part des énergies fossiles. Parmi lesquelles les gaz de schiste. Et la seule façon de réduire ces énergies qui contribuent lourdement au réchauffement climatique, et de donner en même temps leur chance aux énergies renouvelables, c’est de donner un prix significatif au carbone. En émettre doit avoir un prix. Nous insistons beaucoup sur cette idée dans nos recommandations.
Vous recommandez également d’intégrer de façon prioritaire dans le débat la question des transports, premier poste d’émissions de CO2 en France. Comment voyez-vous alors l’abandon des projets de Canal Seine-Nord et de LGV, alternatives fortes au tout fossile ?
- La division par quatre des émissions de CO2 n’est pas atteignable sans une révolution dans le domaine des transports. Alors oui, l’abandon de ces grands projets issus du Grenelle de l’environnement me fait un pincement au cœur. Je regrette qu’il soit toujours plus facile de mettre en place un projet d’autoroute plutôt qu’une ligne de TGV. Maintenant, ni notre section, ni celle qui a travaillé sur l’efficacité énergétique, ne se sont penchées dans le détail sur la question des transports. Nous recommandons de lancer au plus vite la rédaction d’un avis du CESE sur cette question.
Vous suggérez également de "rééxaminer les mécanismes fiscaux portant sur l’énergie". Là encore, ce n’est pas du tout la priorité du gouvernement !
- Une commission vient d’être mise en place, qui devrait faire de belles propositions. En période de crise, on peut comprendre qu'il y ait des arbitrages. Mais notre rôle à nous, scientifiques, est de formuler des propositions bien documentées, bien argumentées, pour faire avancer les politiques. En tant que climatologue, j’estime ainsi qu’il serait bon d’avoir un beau projet de fiscalité énergétique en montrant qu’il permet de peser moins sur le coût du travail, tout en accélérant la transition écologique. Dans 10 ans, quand le réchauffement climatique sera une réalité tangible, les gens vont paniquer. Il faut anticiper. C’est aux politiques de le faire.
Propos recueillis par Morgane Bertrand - Le Nouvel Observateur