Le covoiturage, ça fait longtemps que vous y songez. Mais flemme ou peur de l’inconnu, vous peinez à trouver une bonne raison de vous y mettre. En voilà une. Si vous abandonnez chaque matin votre auto pour partager l’habitacle de votre voisin qui, comme vous, travaille en ville, vous gagnerez 1800 kg de CO2 au bout d’un an de rendez-vous quotidiens. Vous voilà bien avancé me direz-vous. Sauf que ces 1800 kg ne resteront pas un simple gage de vertu, des points virtuels à afficher, le jour venu, en guise d’épitaphe. Non, ces 1800 kilos-là seront versés sur un compte épargne CO2 et pourront être, selon votre choix, convertis en monnaie sonnante et trébuchante ou transformés en bons à valoir sur un billet de train, une place de théâtre ou un abonnement à votre magazine préféré (1).
L’idée d’un compte épargne CO2 est née en 2008 dans la caboche de Jean-Luc Baradat et d’une poignée de proches. « Pour réduire les émissions de CO2, vous avez trois instruments possibles, explique le désormais pédégé de 450, la société à l’origine du concept. Soit vous faites de la régulation et vous imposez par exemple aux voitures de ne pas dépasser les 50 km/heure. Sur le papier c’est intéressant mais dans la réalité ça veut dire mettre des flics et des radars partout. Deuxième solution : vous introduisez une taxe mais sans garantie de voir baisser les émissions. Regardez ce qui se passe avec le prix du tabac. Ce n’est pas parce que vous l’augmentez que le nombre de fumeurs baisse proportionnellement. La taxe carbone, c’est comme si on vous donnait un bol de soupe avec une fourchette. Ce n’est pas le bon outil pour le bon usage. »
Donner aux gens l’envie de monter sur la balance
Aussi la société décide-t-elle de miser sur un autre cheval : les quotas de CO2. En clair, la quantité d’émissions autorisées et mises à disposition de l’Etat français pour rester dans les clous d’un réchauffement acceptable. Selon les experts du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), pour avoir un espoir de maintenir l’augmentation de température à 2°C, le monde doit maintenir sa concentration de CO2 à 450 parties par million dans l’atmosphère (une donnée qui a inspiré le nom de la société). Pour la France ça signifie n’émettre « que » 564 milliards de tonnes de CO2 par an.« Imaginez que vous faites 100 kilos et que vous voulez en faire 175 pour devenir un sumo. Vous connaissez votre poids de départ, vous connaissez le poids auquel vous voulez arriver. Vous pouvez voir un nutritionniste ou un entraîneur pour définir un programme. Ensuite, il vous faudra monter sur la balance pour suivre vos progrès, explique Jean-Luc Baradat qui aime décidément les métaphores. Dans le cas du climat, on connaît le point de départ et le point d’arrivée – il faut diminuer les émissions par 4 dans le cas de la France – on dispose aussi de la balance – le bilan carbone. Mais il faut donner aux gens l’envie de monter dessus régulièrement, il faut trouver une incitation. Faire de la pédagogie pure, je n’y crois pas une seconde. »
Récompenser ses employés pour l’effort
L’homme et son équipe ont donc imaginé un système de récompense pour les particuliers qui font des efforts sur deux terrains : les transports et l’habitat. Et pas n’importe quelle récompense. Le prix attribué à chaque tonne de CO2 économisé est de 52,64 euros soit largement au-dessus du prix du marché (la tonne de CO2 s’échange aujourd’hui à moins de 5 euros sur la place européenne). Pourquoi 52,64 euros ? La société a pris pour référence les 45 euros/tonne initialement préconisés par le rapport Rocard de 2009 qui visait à mettre en place la taxe carbone et fait grimper ce prix de 4% par an depuis lors.Reste que le particulier ne pourra vendre que si une entreprise rachète, à l’autre bout, ses kilos carbone (à un prix pondéré à l’intérieur d’un portefeuille). Et pour Jean-Luc Baradat, cette dernière a tout intérêt à le faire. Outre la possibilité de compenser made in France et de manière transparente, une boîte pourra ainsi trouver un moyen de récompenser à moindres frais ses employés. Une entreprise de transport pourra par exemple reverser la valeur des kilos de CO2 économisés à ses chauffeurs et les inciter à pratiquer l’éco-conduite. Mieux, ce versement ne sera pas taxé. « C’est vrai, reconnaît Jacques Le Cacheux, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et spécialiste de la taxe carbone. C’est un avantage en nature comme les tickets restaurant donc qui permet aujourd’hui de contourner les cotisations sociales. Ça peut fonctionner tant que la pratique reste marginale mais si tout le monde faisait ça, croyez bien que la Sécurité sociale réclamerait son dû. C’est difficilement généralisable », tempère-t-il.
Des petits ruisseaux, ou une grande rivière
Mais le particulier n’est pas forcé de réclamer ses sous. Il peut aussi choisir de valoriser ses quotas en bons d’achat sur des tickets de train, des offres de covoiturage, des abonnements énergie. Et là il gagnera davantage au change : la tonne de CO2 vaudra ainsi entre 100 et 150 euros selon les offres. De quoi retenir l’argent au sein d’un système fermé, créer une économie bas carbone avec en son sein, un CO2 devenu monnaie complémentaire, souligne Jean-Luc Baradat. Avec une limite là encore selon Jacques Le Cacheux : « La grande force de la monnaie c’est d’avoir un pouvoir général, d’acheter quand vous voulez et où vous voulez. Là, la monnaie carbone ne permet d’acheter que chez les partenaires qui l’acceptent. »Autre hic pour l’économiste : « C’est un mécanisme intéressant mais purement volontaire. Il y aura toujours une partie de la population pour adhérer à ça, comme certains, volontairement, renoncent à avoir une voiture, trient leurs déchets ou s’abonnent à une Amap (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne, ndlr). Mais pour enclencher un cercle vertueux, il faut qu’il y ait suffisamment de gens. C’est pour ça que les impôts ont été inventés, si les gens s’occupaient bénévolement des dépenses publiques, on n’aurait pas besoin d’impôts. » Et l’homme de poursuivre : « Je sais bien qu’on dit toujours que les petits ruisseaux font les grandes rivières. Mais parfois aussi les petits ruisseaux restent de petits ruisseaux. Je pense qu’on ne pourra pas se passer d’un instrument plus directif comme la taxe carbone. » Séduits, Nicolas Hulot et Michel Rocard ont pourtant apporté leur soutien à l’initiative. L’Etat, lui, a accordé un agrément à la société lui permettant de distribuer des crédits CO2 mais demande à voir. La société devra d’abord faire ses preuves sur le territoire du Finistère avant d’emporter le droit de s’étendre.
(1) Terra eco est partenaire de ce programme.