On ne vous a jamais raconté de congrès politique par le menu ? C’était avant. Embarquez avec nous pour Toulouse !
Ségolène Royal, Pier Luigi Bersani, Harlem Désir, Sigmar Gabriel et Jean-Christophe Cambadélis, le 26 octobre 2012 au Congrès de Toulouse (Chamussy/Lancelot Frédéric/SIPA)
Quai de Tounis, à Toulouse, Harlem Désir me double. Il est dans sa voiture, moi dans le bus 38. Il est 13h11. « Risque de courant fort », avertit un panneau en contrebas du pont du Garigliano. Je me dis que de ce côté-là, le PS est à l’abri.
Devant le Parc des Expositions, ce vendredi, la pluie fait des claquettes et la CGT manifeste. Les 4 000 participants annoncés à ce congrès sont encore invisibles. A l’intérieur, j’avale un croque-monsieur socialiste (4,5 euros). Constat d’une photographe : « Il manque une salle de sieste. » Sympa, je lui indique l’infirmerie, bien pourvue en lits de camp.
« La préhistoire, c’est chez nous ! »
Un seul VIP dans la salle : Bertrand Delanoë. Petit pull bleu ciel, tout petit jean, le maire de Paris a enfilé son costume de militant. Il lit le journal. En homme politique honnête, il ne cherche pas à dissimuler son ennui.
L’essentiel
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Les socialistes tenaient leur 76e congrès ce week-end à Toulouse.
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Il a servi à mettre en scène l’unité du parti ainsi que sa solidarité avec le gouvernement. Il s’agissait de « faire bloc » derrière le Premier ministre.
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Jean-Marc Ayrault est venu défendre sa méthode et donner un nom à la politique qu’il poursuit : « le nouveau modèle français ».
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Martine Aubry a transmis le témoin à Harlem Désir, le nouveau premier secrétaire du PS.
Pour la cinquième fois, un orateur appelle les « chers camarades » à prendre place dans la salle. Pour tuer le temps, la régie balance un spot sur la région Midi-Pyrénées. On y voit Martin Malvy, son président. Il lance :
« La préhistoire, c’est chez nous ! »
Ils ont de ces idées. Zebda lui succède, « Pourquoi ont-ils tué Jaurès ? ». Derrière moi, quelqu’un craque :
« Ils parlent des socialistes ou quoi ? »
A 15 heures, les écrans géants offrent le triste et vain spectacle d’une caméra qui tente tous les cadrages possibles pour donner l’illusion d’une salle pas trop vide.
Entouré de chaises inoccupées, on voit par exemple Sofiane Gomis. Boucles d’oreilles et piercing sur la lèvre, il est le délégué de la fédération du Pas-de-Calais. Présent à Reims en 2008, il ne voulait pas rester sur ce calamiteux souvenir. « J’avais envie de vivre un congrès apaisé. » L’impatience des Français, il l’entend, mais ne la comprend pas trop :
« On ne gouverne pas avec une baguette magique. On a cinq ans pour faire changer les choses. »
Festival de clichés
Au micro, Sébastien Denard, le premier fédéral, inaugure le festival de clichés sur « la ville rose qui n’a jamais aussi bien porté son nom ».
Dix minutes plus tard, Axelle Lemaire ose « la ville rose qui n’a jamais été aussi rose ». Axelle Lemaire ? Mais si, vous savez, celle qui a refusé le poste de ministre des Français de l’étranger. Ses syllabes sont criardes et très découpées. Elle doit fréquenter de jeunes enfants un peu sourds.
Personne n’écoute ensuite Catherine Trautmann parler d’Europe. Elle a l’habitude. Mais le brouhaha qui gagne la salle ne cessera plus de la journée. Sigmar Gabriel, le patron du SPD allemand, se taille un petit succès avec la formule suivante :
« Merkel veut des démocraties conformes au marché. C’est le contraire qu’il nous faut. »
Pier Luigi Bersani, le président du Parti démocrate italien, joue la carte intemporelle :
« C’est l’Europe de Jacques Delors qui n’est pas encore là. »
Au même moment, la condamnation de Silvio Berlusconi fait vibrer les smartphones.
Ségolène Royal : « Avançons ! »
16h30. Voici l’attraction de la journée : Ségolène Royal. Son attachée de presse a distribué son discours. Le nom de François Hollande n’y figure pas. Finalement, l’Ex le prononcera quatre fois. Elle offre aussi quelques os à ronger aux exégètes de l’interpénétration de la vie privée et de la vie politique :
« Que chacun trouve son espace pour construire sa vie en respectant celle des autres. »
Surtout, elle presse l’exécutif d’agir :
« Transformons nos engagements en actes ! Ayons le courage de lever tous les faux obstacles ! »
Faire remonter les interrogations et les impatiences des « sans-voix », voilà comment elle voit son rôle. « Avançons ! », répète-t-elle, avant de rendre hommage à Mitterrand (ce matin, dans l’éphéméride de La Dépêche, j’ai vu que c’était son anniversaire) et de proposer la construction des « Etats d’Europe unis ».
On se croirait chez Drucker
« Ségolène, merci pour ce que tu es, pour ce que tu représentes ! », hurle Axelle Lemaire. Les applaudissements, bien mous, redoublent pour saluer l’arrivée de Martine Aubry.
Jaurès, tant cité, se voit offrir un peu de répit par Jean-Christophe Cambadélis. Celui-qui-aurait-pu-être-un-brillant-premier-secrétaire-mais-à-qui-Désir-a-été-préféré choisit Habermas, mais les sténos qui sous-titrent les discours en direct l’amputent de son H. Suit un grand moment de cirage de pompes ministérielles :
« Notre remarquable ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius que je vous demande d’applaudir. »
On se croirait chez Drucker.
Le délégué du PC chinois n’est pas d’accord
Puis JCC tonne :
« Ça suffit les critiques, ça suffit les attaques, ça suffit les coups bas, à chaque instant, contre le gouvernement, contre les ministres, contre le PS... Ça suffit ! »
« Merci Harlem ! », lance l’orateur suivant. Lapsus du jour.
Un peu plus tôt, « Camba » a salué les « camarades haïtiens qui sont là », les « amis venus clandestinement de Syrie ou d’Iran qui sont là »... 170 personnes sont parquées dans la zone « invités internationaux ». Je les rejoins.
Quel rôle doit jouer un parti au pouvoir selon eux ? Abdeslam Seddik, du PPS (Parti du progrès et du socialisme) marocain, m’explique qu’il faut « une certaine distance entre le parti et le gouvernement pour jeter un regard critique sur l’action menée ».
Le délégué du Parti communiste chinois trouve au contraire qu’il ne doit pas y avoir l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette entre le parti et le gouvernement.
« Faisons un cauchemar... »
Je médite leurs paroles en faisant un tour au stand des souvenirs. 15 euros la boule à neige, 20 euros les 100 ballons, 4,5 euros les cinq capotes, 12 euros la clé USB. Bon. On verra une autre fois.
17h48. Guillaume Bachelay s’égosille à toute vitesse et le congrès sort de sa torpeur.
« Faisons un cauchemar : imaginons une France où Sarkozy aurait été réélu... »
Il a tricoté un sketch où l’on stigmatise les corps intérmédiaires et les étrangers au petit déjeuner, les chômeurs « cancer de la société » au déjeuner, où l’on décrète au goûter que « l’écologie, ça suffit », où l’on augmente la TVA au dîner et où l’on se couche en se disant que décidément, l’homme africain n’est pas entré dans l’histoire.
Hessel : « Ne perdez plus de temps ! »
Il offre trois autres formules à ses camarades en mal d’inspiration :
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« La droite, ça commence par un D comme déficit » ;
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« L’Europe ne doit plus être le ravi de la crèche mondiale » ;
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« Le socialisme, c’est le partage, alors pourquoi ne pas partager aussi les mandats et les fonctions ? »
Marre des grincheux. Pour lui, « le congrès de Toulouse, c’est le congrès de la fierté ! »
Stéphane Hessel chevrote son message par vidéo interposée (« Ne perdez plus de temps ! ») et à la tribune, les orateurs se succèdent, quatre minutes chacun.
On enfile les citations « plus que jamais d’actualité » et les poncifs sur « les lendemains qui déchantent ». On répète que « le débat et la confrontation font partie de notre ADN. » Julien Dray insiste : il n’y a pas de « couacs », pas de « dysfonctionnements », mais des « discussions volontaires ». On a compris.
« Tu as trois minutes, Colette »
Les pompiers postés aux portes de la salle ont l’air déprimé. Et s’ils étaient de droite ? Je m’inquiète de leur état psychologique. Ils affirment qu’ils n’ont « pas le droit de répondre aux questions ».
Il est 19h09. Il y a bien longtemps qu’il n’y a plus l’ombre d’une trompe d’éléphant dans la salle. Une certaine Colette Gros (« Tu as trois minutes, Colette, merci de les tenir ») propose des primaires européennes pour désigner un candidat commun progressiste à la présidence de la commission européenne.
Mon attention est de plus en plus flottante. J’entends Thierry Marchal-Beck, le président des Jeunes socialistes, regretter que « cet adversaire, le monde de la finance, six mois après, gouverne encore ». Il parle fort et fait de grands gestes :
« Génération de la crise, soulève-toi. »
Mais la salle est déjà partie lever le coude ailleurs.
« Ils ont aligné tous les ministres »
Samedi. Mes chaussures sont encore trempées. La nuit et le sèche-cheveux de l’hôtel n’auront pas réussi à les sauver. A l’entrée du Parc des expositions, une dame du service d’ordre annonce qu’aujourd’hui, « c’est différent, y aura du monde, ils ont aligné tous les ministres ».
La sénatrice de l’Oise Laurence Rossignol est punie : on lui a collé la première intervention de la journée. Mais comme elle est caustique elle dit : « J’aime ces moments d’intimité. » Il est 9h54. Deux minutes plus tard, elle s’interrompt :
« Parler devant une salle vide est plaisant parce qu’on se regarde droit dans les yeux, mais parler devant une salle vide aussi bruyante qu’une salle pleine est assez troublant. »
Elle vient de fixer la ligne de ce congrès : chers-camarades-écoutez-moi-s’il-vous-plaît. La prière reviendra, inlassablement, d’intervention en intervention.
« Comme on dit dans les Deux-Sèvres... »
Que disent les orateurs à leurs camarades qui ne les écoutent pas ?
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Que « 30% du parti est aujourd’hui pour la sortie du nucléaire » ;
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qu’il faudrait organiser « un Solférino du développement durable, comme il y a eu un Grenelle de l’environnement » ;
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que « le rôle du parti, comme on dit dans les Deux-Sèvres, c’est d’être un va-devant » (dixit Delphine Batho) ;
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que « le cumul n’est pas de gauche, pas démocratique »...
Pauvre Paul Quilès ! Obligé, amer, de se rendre à l’évidence :
« La dissuasion nucléaire, je ne pense pas que ça intéresse tout le monde dans ce congrès... »
Crèmes glacées
Les salariés de Pilpa, un fabricant de crèmes glacées, venus raconter leur lutte, n’ont guère plus de succès. Sauf lorsqu’ils s’écrient :
« Le changement, c’est maintenant ! Pilpa vivra ! »
Dans ce qui ressemble à un réflexe pavlovien, la salle se lève et se sent socialiste.
10h49. François Rebsamen fait le coup du cauchemar, comme Bachelay vendredi, et le coup de « la ville rose qui n’a jamais aussi bien porté son nom », comme tout le monde. Encore une intervention pour rien.
Métaphore de son parcours politique, Robert Hue erre sans trouver sa place. Il échoue dans le carré réservé à la presse. Dans les travées, quelques caciques devisent sur un PS « balkanisé », transformé en « coopérative de personnalités ».
Le match des Gérard
Il est chaud, Benoît Hamon. Il est venu balayer le procès en amateurisme instruit par la droite, cette « belle bande de professionnels qui nous ont laissé 600 milliards d’euros de déficits supplémentaires », ce « concentré d’efficacité et d’intelligence qui nous a fait un million de chômeurs en plus », ce « concentré de compétences qui nous a laissé 350 000 pauvres de plus »...
Place au match des Gérard. Collomb croit pouvoir affirmer que l’heure n’est plus aux congrès-concours de formules audacieuses mais Filoche, se charge de lui montrer qu’un congressiste se chauffe toujours par la gauche. Son résumé du débat rigueur / relance est expéditif :
« Essayez de brancher un chauffe-plat dans un réfrigérateur ! »
Mais à 11h28, il triomphe en s’écriant : « C’est magnifique les cotisations sociales ! »
Instant testostérone
Elisabeth Guigou « espère que le quinquennat de François Hollande nous laissera le même souvenir que celui [sic] de François Mitterrand ». Un « chef d’entreprise socialiste » ose l’anaphore « moi chef d’entreprise ». On a honte pour eux.
11h51, instant testostérone, voici Manuel Valls, très applaudi. Il entonne un couplet sur « les sondages, les cotes de confiance, les indicateurs statistiques, les cotes d’avenir [...] les baromètres des baromètres » :
« Quand ils sont mauvais, ce n’est pas bon, et quand ils sont bons, on me dit que ça peut être mauvais. »
Valls, ce fayot
Il enchaîne sur un très bel exercice de fayotage à l’égard de Jean-Marc Ayrault, ce « Premier ministre disponible, à l’écoute, qui arbitre, tranche, coordonne les engagements ». Ecoutez son cri :
« Je suis fier d’être ministre de Jean-Marc Ayrault ! »
Suit Anne Hidalgo. Elle dit « je me réjouis, oui je me réjouis », « nous avons compris et nous avons appris », parle de « cette expérience qui est la nôtre » et explique que l’emploi, oui l’emploi, c’est important (et elle n’a pas peur de le dire).
Le jeu est simple : il faut faire se succéder à la tribune le maximum d’intervenants. Peu importe ce qu’ils ont à dire, ils seront contents, leurs amis aussi, leur sensibilité sera représentée, et le folklore proprement perpétué. Mais personne n’est dupe.
Anémone et Roberto Benigni
Prenez Claude Bartolone, ce président de l’Assemblée qui parle de plus en plus comme Roberto Benigni. Une phrase mise à part (« La dette, c’est un contresens de la nature, c’est de la souffrance différée »), il n’a tellement rien à dire qu’il abdique :
« Chers camarades, vous trouverez la fin de mon intervention sur mon blog. »
Marie-Noëlle Lienemann (qui, elle, ressemble de plus en plus à Anémone) affirme que « le capital public est une idée neuve » et que « si à Florange on ne trouve pas d’autre solution, il faut nationaliser ». L’assemblée semble assister à son intervention comme on avale un médicament au goût répugnant.
L’aspirateur et « Le Temps des cerises »
Même absence d’enthousiasme devant Pierre Moscovici. Pourtant, il fait des efforts. Il se montre tour à tour :
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orgueilleux (il salue la victoire de François Hollande avant de rappeler qu’il a été « vous le savez, le directeur de sa campagne présidentielle ») ;
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provocateur (« Croyez que je ne suis pas tombé amoureux de je ne sais quel chiffre ») ;
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condescendant (« Nous devons être sérieux ») ;
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dogmatique (« Le combat contre l’endettement, c’est le combat de la gauche »).
Non, vraiment, c’est bizarre. A 12h42, Mosco se tait. Un collègue journaliste radio me demande : « C’était le dernier ministre, non ? Alors c’est l’heure du sandwich. » Tant pis pour Pervenche Bérès.
Quelques minutes plus tard, dans cette grande salle vide, on passe l’aspirateur sur « Le Temps des cerises ».
« La gauche qui se lève tôt »
14h46. Olivier Faure, protégé de François Hollande et Jean-Marc Ayrault, député de Seine-et-Marne, annonce, lyrique :
« Je suis venu vous parler de la gauche qui se lève tôt. »
Sa meilleure phrase.
Il invite le PS à aller à la rencontre de cette « France périurbaine », cette « France des petits collectifs et des rocades »... « Ces Français attendent de nous l’attention qu’ils méritent. S’ils nous voient à leurs côtés, alors la progression de Marine Le Pen sera endiguée », croit-il.
On voit défiler des vieilles gloires sur le retour et des inconnus qui ne donnent pas envie de les connaître. Je commence à trouver le temps long. Mais à 15h06, l’enthousiasme contenu depuis vingt-quatre heures se libère enfin.
Aubry : « J’espère que d’autres partiront »
« Martine ! Martine ! Martine ! », scande la salle. Accueil de star pour la maire de Lille. Leitmotiv : « Je suis heureuse ». C’est tout sauf un discours d’adieu.
Certes, elle passe le témoin à Harlem Désir, le « militant » parfait pour « reprendre le combat contre tous les racismes, toutes les discriminations ». Mais « ma génération a peut-être encore des choses à apporter au pays », glisse-telle. Devenue une sorte d’intouchable papesse, elle peut tout se permettre :
« Je suis partie... mais j’espère que d’autres aussi le feront. Il faut changer. »
Elle se pose en principal soutien de Jean-Marc Ayrault, cet « homme de gauche qui est droit ». Puis elle se lance dans un cours sur la compétitivité.
« Le coût du travail, c’est la cerise sur le gâteau. Il faut d’abord traiter le gâteau. Mais attention au sens dans lequel on met la cerise. »
L’incompréhension se lit sur les visages. La salle entière tente mentalement de se représenter comment on peut voir plusieurs sens à une cerise et décroche.
« C’est facile de signer des pétitions »
Elle assigne une tâche aux socialistes : « expliquer le sens » de la politique menée « au pied des HLM, sur les marchés ».
« Ne cédons pas à la tentation de haranguer le gouvernement. Nos réactions, passons-les aux ministres directement ou au Parti socialiste. Arrêtez de parler dans la presse ! Les Français ont besoin de nous voir comme un seul bloc. »
Elle insiste :
« Si nous voulons être utiles, ce sont les Français qu’il faut convaincre [sur le “mariage pour tous”, sur le droit de vote des étrangers, ndlr]. C’est facile de signer des pétitions, c’est moins facile d’aller convaincre son voisin. »
Une minute trente de standing ovation.
« Dix ministres au Medef... »
Et soudain, on entend le mot « idéologie ».
« Mener la bataille culturelle, lutter contre l’idéologie dominante, c’est notre mission principale. »
C’est Emmanuel Maurel qui parle. Pour le nouveau leader de l’aile gauche du parti, « il n’y a pas de compétitivité sans salaires corrects, il n’y a pas de compétitivité sans protection sociale de qualité, il n’y a pas de compétitivité sans services publics forts. »
« Fraternellement », il demande :
« Un ministre socialiste aux universités d’été du Medef, ça va ; dix ministres, était-ce bien nécessaire ? »
« Cher Harlem »
Il annonce qu’il a « proposé à Harlem » que le PS mène « trois grandes campagnes » dès la fin du congrès :
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une sur le droit de vote des étrangers ;
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une sur l’égalité salariale entre les femmes et les hommes ;
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une pour une loi contre les licenciements boursiers.
Pour ce « cher Harlem », ça va être compliqué de se défiler.
Trois ministres défilent ensuite (je me retiens d’écrire une vacherie sur leurs costumes) :
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Arnaud Montebourg (qui a franchi un nouveau cap dans la préciosité) affirme que « l’Etat est de retour » et raille la droite qui, « pendant que des pans entiers de notre industrie étaient déménagés hors de France, organisait dans les sous-préfectures des débats sur l’identité nationale ».
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Vincent Peillon brode sur « les aurores incertaines » et affirme – ô, sublime audace ! – « Nous préférons les valeurs de la connaissance, du respect, de la transmission, de la laïcité à celles de l’argent, du bling-bling, du désengagement européen, du mépris des étangers. » Non mais quelle audace !
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Stéphane Le Foll invite les socialistes à avoir confiance en eux pour que les Français aient confiance en eux. Voilà voilà.
Corvée de timbres et pointes sèches
Au quatrième rang, Cambadélis s’offre une petite revue de presse égotiste sur iPad.
Au cinquième, corvée de timbres pour un délégué de la fédération de l’Eure. Il a des dizaines de cartes postales à affranchir, toutes à l’effigie de François Hollande. Son premier fédéral, Marc-Antoine Jamet, a décidé d’écrire aux militants.
Derrière, ça facebooke, ça tweete, ça se remaquille, ça s’examine la chevelure, ça fait la moue en se triturant les pointes sèches.
« Congrès du Parti national-socialiste »
Pendant ce temps, Alain Bergounioux, un des rares intellectuels de ce parti, parle de l’urgence qu’il y a à réhabiliter l’idée de « responsabilité collective », la rhône-alpine Claire Donzel s’en prend aux « jeunes hommes socialistes qui n’ont pas compris que leurs soeurs, leurs mères, sont des hommes comme les autres », et Malek Boutih parle de lui.
Malaise en écoutant la bourguignonne Nesrine Zaïdi. D’abord parce qu’elle dit la vérité :
« C’est bizarre de parler entre deux ministres, j’ai l’impression d’être un entracte, un divertissement... »
Elle précise qu’elle « plaisante », mais c’est exactement ça.
Malaise ensuite à 17h11 quand elle exprime sa « joie de [s]’exprimer au congrès du Parti national-socialiste ». Hum. Elle patauge.
Coitus interruptus
Une voix la coupe : « Je vous demande d’accueillir Jean-Marc Ayrault, notre Premier ministre ! » Musique.
Coitus interruptus, c’est finalement David Assouline qui apparaît. On ne comprend rien à ce qu’il raconte. Il est pourtant porte-parole du PS depuis que Benoît Hamon est entré au gouvernement.
17h23. « Je vais vous demander une nouvelle ovation pour le Premier ministre de la France », intime la sono. C’est la troisième de la journée. C’est tellement spontané.
Jean-Marc Ayrault est venu exiger du temps :
« Comme si en 100 jours nous pouvions interrompre la montée du chômage, rétablir la croissance, mettre fin aux inégalités, régler la crise de l’euro, arrêter la guerre en Syrie… »
Le « nouveau modèle français » d’Ayrault
Il est aussi venu revendiquer sa méthode, « celle de la mobilisation de toutes les forces du pays, de la fédération de toutes les énergies, de l’adhésion des Français à des solutions durables qui permettent d’ancrer le changement dans la durée » :
« Je revendique le choix de la négociation, au risque d’être parfois critiqué sur le rythme des réformes. »
Il bombe le torse : « Nous choisissons d’être audacieux en actes plutôt que radicaux en paroles ! » (Si seulement...)
Après « le rêve français » de François Hollande, Jean-Marc Ayrault a trouvé un concept dont il a l’air très content : « le nouveau modèle français ».
Qu’est-ce que c’est ? Ce n’est pas la question. C’est un peu tout à la fois. C’est tout ce qu’il veut faire – y compris « le non-cumul des mandats pour assurer la parité, la diversité et le renouvellement des générations », et là, la salle est en délire. Elle se lève et l’applaudit aussi chaleureusement qu’Aubry – l’honneur est sauf.
« Danse avec les stars »
Ayrault regagne sa place, Faure le renvoie sur scène avec Désir. Flashs. C’est dans la boîte.
Une dame du service d’ordre commence à s’inquiéter :
« Si ça continue on va rater le début de “Danse avec les stars”. C’est pas bientôt fini ? »
Non. Encore quelques minutes de gloire pour :
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« le gardien de la tombe de François Mitterrand » (le maire de Jarnac, Jérôme Royer) ;
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Pierre Larrouturou (« Notre rôle, c’est d’être des fouteurs d’espoir », OK Pierre) ;
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une intersyndicale de Sanofi, des autocollants plein les blouses ;
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Jérôme Guedj (« Le rôle du socialisme, c’est de créer de la conscience politique là où il y a de la conscience sociale », OK Jérôme) ;
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une poignée d’autres intervenants dont je n’ai pas le temps de noter les noms.
« Le changement d’heure, c’est maintenant »
Un type crie au scandale parce que « le texte de synthèse a changé entre Paris et Toulouse, et on nous dit que c’est venu d’en haut ». Personne ne réagit. Ils ont l’air d’avoir l’habitude.
Je me demande où est Jack Lang. Je me demande où est Lionel Jospin.
Patrick Bloche présente sa nouvelle coiffure et ses conclusions : il a assisté à des débats d’une « extraordinaire densité », à des échanges d’une « extraordinaire richesse ». Tu parles ! En élaguant les répétitions et les propos convenus, le journée aurait pu tenir en deux heures.
Dans le hall, j’entends trois fois la même blague :
« Le changement d’heure, c’est maintenant ! »
Repousser les limites du gnangnan
Dimanche. Des marathoniens en collant ont envahi la ville. Les militants lestés de cassoulet se font attendre. Le juke-box socialiste, lui, est immuable : Patti Smith et Barbara pour chauffer la salle.
On récite la litanie des 204 nouveaux membres du conseil national, le « parlement » du PS, censés représenter ses différentes sensibilités. On se dote d’une « charte éthique ». On regarde des petits films sur les riches heures du parti. On écoute des discours qui repoussent les limites du gnangnan.
« Jean-Marc Ayrault n’est pas un homme des dîners en ville », nous apprend Kader Arif, le ministre des Anciens combattants.
« Soyons fiers de Jean-Marc Ayrault parce qu’il est nous ! »
Désir comme aux Césars
11h39. Harlem Désir arrive. Il remercie le monde entier, comme aux Césars. Puis, en un peu moins d’une heure, parvient à faire oublier qu’il a été désigné plus qu’élu.
Cinq standing ovations ! Des militants déchaînés qui tapent des mains sur les tables ! Même Martine Aubry s’y est mise. Même le Premier ministre s’est levé (après avoir échangé un regard avec Brigitte Ayrault).
Vous méritez une récompense
Le fond de son propos n’a pourtant rien de trépidant. Il veut « inventer un nouveau modèle économique pour l’après-crise. » Affirme que « l’avenir de la France, c’est l’Europe ». Que « rien ne sera possible si nous ne restaurons pas l’unité de la République ». Et qu’il faut « bâtir un nouveau parti socialiste ».
Mais il a su trouver les mots pour enthousiasmer l’homo solferinus. Si vous êtes arrivés jusqu’à ces lignes, c’est que vous faites partie des courageux. Vous méritez une récompense : je vous ai concocté le top 10 des phrases les plus applaudies d’Harlem Désir.
Le mur de l’argent :
« Oui, il y a dans notre pays un nouveau mur du privilège et de la rente, comme on parlait hier du mur de l’argent [...] Eh bien je veux être clair : [...] ce nouveau mur du privilège et de la rente, nous allons l’abattre ! »
La « nostalgie Sarkozy » :
« Ils essaient de faire croire à une “nostalgie Sarkozy”, mais de quoi les Français devraient-ils être nostalgiques ? Du yacht de monsieur Bolloré ou de celui de monsieur Takieddine ? Du soutien à Ben Ali ou de la tente de Kadhafi plantée dans les palais officiels en plein Paris ? Des interviews dans Minute de Nadine Morano ou des “Auvergnats” de Brice Hortefeux ? Du paquet fiscal ou de la TVA sociale ? »
Le SMS :
« Le changement, cela ne va pas à la vitesse d’un SMS, cela ne se fait pas d’un coup de menton ! »
La droite donneuse de leçons :
« Nous n’avons aucune leçon à recevoir de la droite : la droite c’est 600 milliards de dettes en 5 ans ; les comptes sociaux plombés ; 70 milliards de déficits du commerce extérieur. Et plus d’un million de chômeurs supplémentaires en 5 ans. »
L’Europe, l’Europe, l’Europe :
« Oui nous voulons une autre Europe, plus sociale, plus démocratique, mais nous n’y parviendrons pas avec moins d’Europe [...] J’assume de vouloir que nous soyons le parti le plus européen de France. »
Pas de pitié sur la parité :
« Il est inacceptable, dix ans après la première loi, que des partis puissent encore payer pour se dispenser de réaliser la parité. Alors je propose une mesure simple : supprimer le financement public aux partis qui ne respectent pas la parité »
Harlem « Vie de meuf » Désir :
« Je serai un premier secrétaire féministe. »
Occupy Solférino :
« A tous ceux qui prédisent ou qui redoutent un parti-godillot, je dis : vous allez être surpris ! [...] Voilà mon message dans ce congrès : Socialistes, ouvrez grandes les portes du parti, occupez Solférino et invitez y les Français ! Prenez le pouvoir ! »
Les promesses, ça se tient (1/2) :
« Oui nous donnerons le droit de vote aux étrangers aux élections locales ! »
Les promesses, ça se tient (2/2) :
« Oui, nous ferons la loi sur le non-cumul des mandats. »
12h39. Le congrès est terminé. Reste à démonter la salle. Les permanents du PS vont enfin pouvoir libérer l’énergie révolutionnaire qui sommeille en eux.