De "Kes" à "La part des anges" : Ken Loach, le révolté
A l'occasion de la sortie de "La part des anges", sa dernière comédie sociale, retour sur la carrière de Ken Loach à travers quelques uns de ses films marquants.
Ken Loach donne une définition claire de ses films : ils doivent maintenir la colère chez les gens. C'est pour réveiller les consciences endormies que Loach continue de tourner. Alors que "La part des anges", son dernier long métrage, sort en salles, retour sur la carrière d'un cinéaste qui depuis les années 60 cherche à capter le réel, notamment dans des documentaires surprenants pour l'époque car aux antipodes des mouvances et du clinquant Swinging London ("Up the Junction", en 1965 ; "Cathy Come Home", en 1966 ; et "In Two Minds" en 1967). Dès lors, il trouve son combat : dénoncer l'injustice sociale, s'attacher à des laissés-pour-compte, réparer et prévenir. Et cherche humblement à s'effacer derrière ses sujets et ses personnages, parfois incarnés par des acteurs non professionnels. Le succès vient avec "Kes", son second long métrage, ovationné au Festival de Cannes en 1970.
Le début d'une carrière où la caméra deviendra une arme infaillible.
KES (1969)
Billy Casper vit dans une petite ville minière du nord-est de l'Angleterre, à Barnsley, dans le Yorkshire. Il a une douzaine d'années et l'univers dans lequel il vit ne correspond pas à son attente. Sa mère ne s'occupe guère de lui son frère aîné Jude le traite en souffre-douleur. Un jour, il déniche un jeune rapace et entreprend de le dresser. Deuxième film de Ken Loach : un classique du cinéma social qui a marqué toute une génération, comme naguère Allemagne, année zéro.
FAMILY LIFE (1971)
Inconsciemment ou non, Ken Loach réalisait l'un des plus grands films sur le mal-être adolescent, remettant en cause les valeurs traditionnelles. Ici, pas d'enrobage pop façon "Donnie Darko", "Ghost World" ou "Virgin Suicides" mais un vérisme cru à travers le parcours d'une jeune ado refusant obstinément les contingences d'un monde qu'elle juge hostile. Elle est impuissante et mélancolique car personne ne peut comprendre sa détresse, ni sa famille ni les médécins. Ce qui choque Ken Loach ici, c'est l'absence totale d'empathie et de communication. Sa charge contre les institutions frappe fort. Très fort, même aujourd'hui. Incontestablement un des sommets dans la carrière de Loach.
REGARDS ET SOURIRES (1981)
Deux amis viennent de quitter le collège de Sheffield, ancienne capitale de l'acier ou le travail est devenu rare. Une seule issue, l'armée. L'un part tandis que l'autre reste, son père s'opposant a son départ... Avant la traversée du désert des années 80 (le cinéma anglais en crise), Ken Loach signe une œuvre prophétique sur l'embrigadement des jeunes avec un style mélancolique hérité de ses premières œuvres.
RIFF-RAFF (1991)
L'adaptation d'un jeune Ecossais tout juste sorti de prison à la vie des bas quartiers de Londres où il va trouver du travail comme manœuvre et une petite amie avec laquelle il va tenter d'affronter les aléas de la vie citadine. Ken Loach met le doigt sur l'exploitation dans le monde du travail en évoquant les conditions de salubrité faites aux ouvriers du bâtiment. Un pamphlet anti-thatchériste qui au fil des années a gagné une dimension universelle...
RAINING STONES (1993)
A travers l'histoire de la famille Williams et de son chef Bob, au chômage depuis de long mois, une évocation de la misère ordinaire des populations vivant à la périphérie de Manchester. Avec "Raining Stones", Ken Loach retrouve le scénariste Jim Allen (déjà sur "Hidden Agenda"), participe au renouveau du cinéma social à l'anglaise avec d'autres (Mike Leigh, le réalisateur de "Naked") et scrute les répercutions catastrophiques de la politique conservatrice de Margaret Thatcher sur une population décimée par le chômage et le libéralisme. Plus que jamais, il s'affirme comme un cinéaste engagé. Du cinéma-vérité à l'état brut. Prix du jury au festival de Cannes.
LAND AND FREEDOM (1994)
Une évocation dense de la guerre d'Espagne, à travers l'histoire d'un vieil homme que sa petite-fille enterre à Liverpool. Il suffit juste de créer un lien entre la Guerre d'Espagne et ce qui se jouait alors en Angleterre pour comprendre où Ken Loach veut en venir, adossant ici franquistes et communistes. L'idée, c'est de montrer comme un espoir utopique se révèle une cruelle déception. En dépit des apparences et du changement de lieu et de contexte, malgré quelques scories démonstratives, c'est du pur Loach à la fois dans la mise en scène (style sec) et le discours (opposition du groupe et de l'individu) jusque dans le refus du manichéisme et du jugement hâtif. Il y passe un vent de révolte finalement contemporain. Prix de la critique internationale à Cannes et Prix œcuménique.
LE VENT SE LEVE (2006)
Irlande, 1920. Des paysans s'unissent pour former une armée de volontaires contre les redoutables Black and Tans, troupes anglaises envoyées par bateaux entiers pour mater les velléités d'indépendance du peuple irlandais. Par sens du devoir et amour de son pays, Damien abandonne sa jeune carrière de médecin et rejoint son frère Teddy dans le dangereux combat pour la liberté. Nouvel affrontement ancestral pour Loach (les Britanniques et les Irlandais) renouant ainsi avec la veine de "Hidden Agenda" qui traitait déjà du conflit en Irlande du Nord - sur un mode toutefois bien différent. Une œuvre tragique, d'une terrible évidence. Palme d'or au Festival de Cannes en 2006.
IT'S A FREE WORLD (2007)
Angie se fait virer d'une agence de recrutement pour mauvaise conduite en public. Elle fait alors équipe avec sa colocataire, Rose, pour ouvrir une agence dans leur cuisine. Avec tous ces immigrants en quête de travail, les opportunités sont considérables, particulièrement pour deux jeunes femmes en phase avec leur temps. Nouvelle autopsie d'une working class déchiquetée où deux femmes actuelles incarnent les dérives du capitalisme. Dans cette affaire âpre de revanche sociale, les anciens dominés deviennent les nouveaux dominants et subissent bon gré mal gré les conséquences morales de leurs actes. Avec, à la clé, une fracassante révélation : Kierston Wareing.