Dans les nouvelles technologies, l’usage précède très souvent le droit et se répand à toute vitesse pour mieux le tordre et le faire évoluer dans un sens plus favorable aux disrupteurs de tout poil. C’est la stratégie qu’avait poursuivie l’application de transport urbain Uber afin de banaliser dans l’Hexagone son service UberPop dans l’idée de le faire légaliser a posteriori sous la pression des consommateurs. Une pratique que vient de réfuter la cour d’appel de Paris en condamnant la filiale française du géant californien à 150 000 euros d’amende pour «pratique commerciale trompeuse».

En proposant comme du covoiturage une offre payante de transport assurée par les particuliers, la cour d’appel a jugé, explique l’avocat de l’Union nationale des taxis Jean-Paul Levy, qu’Uber s’était rendu coupable de «présenter comme licite ce qui ne l’était pas mais aussi de tromper les chauffeurs et les consommateurs». Le représentant d’Uber n’a pas souhaité commenter la décision, un peu moins sévère au final que ce que réclamait l’avocate générale dans son réquisitoire. Cette dernière demandait 200 000 euros d’amende.

L’avocat d’Uber, MHugues Calvet, avait lui plaidé la relaxe de son client à l’audience, affirmant qu' «aucun texte législatif ne permet d’affirmer qu’UberPop était illicite à l’époque des faits». La loi Thévenoud du nom du très éphémère secrétaire d’Etat socialiste chargé du Commerce extérieur n’a en effet été promulguée qu’en octobre 2014 et a clairement interdit l’activité de transport à la demande rémunéré entre simples particuliers mais légalisé l’existence des voitures de transport avec chauffeurs (VTC). Chez Uber, on affirme que le terme de «covoiturage» n’a été utilisé que pendant un peu plus d’un mois, du lancement d’UberPop le 5 février au 25 mars 2014. Sauf que la conception «marketing» du covoiturage utilisée alors par Uber n’était pas conforme à la conception légale qui sous-entend que, dans ce type de service, c’est le conducteur qui décide de la destination et non le passager.

En France, comme en Allemagne, puis en Belgique ou aux Pays-Bas, Uber, dont la principale activité reste les VTC, avait dû renoncer à la poursuite du service UberPop en juin dernier sous la pression des pouvoirs publics, après la multiplication des incidents avec les chauffeurs de taxi excédés par cette concurrence déloyale. Un service alors « suspendu » par la société dans un contexte de répression, marqué par des saisies de véhicules et des gardes à vue, avant que le Conseil constitutionnel ne vienne confirmer son interdiction le 22 septembre. Les sages avaient alors jugé le service illégal au regard de la loi, en rejetant définitivement les arguments de l’entreprise sur «la liberté d’expression» du terme covoiturage. Mais cette décision n’avait pas pour autant éteint les procédures judiciaires en cours : un mois plus tard se tenait le procès en appel d’Uber France.

Suivant les réquisitions du parquet, la cour d’appel a reconnu Uber France coupable des trois chefs de poursuites pour lesquels la société était jugée, alors que le tribunal correctionnel n’en avait retenu qu’un seul dans sa condamnation de première instance. Le premier chef porte sur cette communication trompeuse d’UberPop consistant à proposer à des particuliers d’être transportés par d’autres particuliers non professionnels, «comme licite alors qu’elle ne l’était pas».

Les deux autres chefs, non retenus en première instance, portent également sur la tromperie de la communication, mais cette fois sur les conditions d’assurance des chauffeurs et des personnes transportées. «Les contrats d’UberPop incitaient les chauffeurs à prendre une extension de leur assurance, alors que les chauffeurs professionnels doivent contracter des assurances spécifiques», avait souligné l’avocate générale, selon laquelle les particuliers auraient été responsables en cas d’accident sur leurs propres deniers.

«Avec cette condamnation, une nouvelle étape vient d’être franchie mais rien n’est fini», a expliqué à l’AFP MLevy en soulignant qu’une autre audience, «visant cette fois les dirigeants d’Uber était prévue les 10 et 11 février pour violation des dispositions spécifiques au code des transports et notamment exercice illégal de la profession de taxi». «Uber poursuit partout sa stratégie d’évitement en multipliant les recours […] mais peu à peu les défenses qu’ils ont échafaudées, les barricades qu’ils ont élevées s’effondrent et il arrive, comme aujourd’hui, le moment de vérité : une décision est rendue par des juges, il faut s’y conformer. Peu à peu, le droit s’impose face à la force», a-t-il salué.

Uber dont l’objectif reste de «démocratiser le transport à la demande» sous toutes ses formes, y compris avec des chauffeurs non professionnels, étudie un éventuel pourvoi en cassation. Cette décision pourrait également relancer le débat sur la légalité du service de covoiturage nocturne Heetch, une start-up française. Ce service  assuré par des chauffeurs non professionnels qui se déclarent auto-entrepreneurs dans la limite de 6 000 euros de revenus par an, «permet de se déplacer en ville grâce à des particuliers qui conduisent pour amortir le coût de leur véhicule» entre 20 heures et 6 heures du matin. Une plage horaire durant laquelle l’offre de taxis et de VTC, plus chère, est souvent insuffisante pour assurer le transport des noctambules. 

Christophe Alix avec AFP