[Actualisation le 17 septembre à 9 heures] Comme annoncé, l'ancien président de l'Olympique de Marseille (2009-2011) entendu mercredi par le juge Cotelle à Marseille dans l'enquête sur les transferts douteux du club phocéen a été mis en examen pour «abus de biens sociaux, blanchiment en bande organisée, association de malfaiteurs, faux et usage de faux». Un épisode qui témoigne du changement de tactique de la justice dans cette affaire: faute de pouvoir déterminer à qui profite l'argent des transferts, elle s'attaque à ceux qui l'ont dépensé sans compter, en l'occurrence, les présidents du club. Avec Dassier, elle est servie...

 

Un jour de mai 2010, le champagne et les petits fours tiédissent sous le soleil de la Commanderie, centre d’entraînement de l’OM. Le club officialise un nouveau partenariat avec Betclic, la société de paris en ligne, qui devient son nouveau sponsor maillot. Jean-Claude Dassier débarque, comme d’habitude, dans son costume de contrôleur des travaux finis. Il s’assied près du patron de Betclic et du directeur général du club, Antoine Veyrat. Un journaliste l’interpelle : «Et vous, président, vous pariez aussi ?» Et voilà Dassier qui plastronne : «Bien sûr ! Je ne vais pas me gêner, si l’OM remporte la victoire et que j’ai misé dessus, je suis doublement gagnant !» A ses côtés, Veyrat manque de s’étrangler, devient rouge comme un coquelicot : «Jean-Claude, tu sais que tu n’as pas le droit de parier, on a signé une charte pour ça !» Dassier s’en tire comme d’habitude : «C’était une plaisanterie, mon cher Antoine !»

Bandits corses

Pendant son mandat (juin 2009-juin 2011), l’ex-président de l’OM a signé bien d’autres documents, et on doute qu’il pourra en plaisanter ce mercredi dans le bureau du juge d’instruction Guillaume Cotelle, perché au quatrième étage du palais de justice de Marseille. Des mandats d’agents, des contrats et des prolongations de contrat de joueurs, des avenants, des primes… Depuis des mois, Cotelle, spécialisé dans la grande délinquance financière, dissèque la gestion de l’OM entre 2008 et 2014, traque l’abus de bien social dans les recoins des dossiers.

L’enquête sur le club phocéen a débuté en 2011. A l’époque, les juges Thierry Azéma et Christophe Perruaux ciblent des bandits corses qui font la loi dans les boîtes de nuit aixoises. Racket en bande organisée, extorsions et enveloppes, du classique depuis des décennies. Mais un des relais des voyous dans le monde des noctambules, Christophe d’Amico, volubile après son interpellation début 2012, va emmener les magistrats sur un autre terrain, plus vert, plus juteux aussi.

Emérite patron de discothèques, D’Amico est aussi le premier agent du buteur André-Pierre Gignac, un enfant de l’étang de Berre qu’il a connu bien avant sa majorité. Quand la carrière de Gignac explose, à Lorient, les convoitises s’amoncellent. Une vieille canaille marseillaise, Jean Marrano, dit «Petit Jeannot», contacte D’Amico au nom de Jean-Luc Barresi, puissant agent de joueurs et alors proche du directeur sportif de l’OM, José Anigo. D’Amico est embarrassé, il est déjà en affaires avec le clan Federici, rebaptisé comme celui des «bergers-braqueurs» de Venzolasca (Haute-Corse) : outre les boîtes aixoises, qu’ils pressent comme des olives, ils ont un pied au Sporting Club de Bastia.

Selon la version de D’Amico, une rencontre au sommet a finalement lieu au Sofitel Vieux-Port, à l’été 2007, pour trancher la question Gignac. D’Amico, Marrano et Jean-Pierre Anastasio, représentant des Corses, se retrouvent dans le salon cossu de l’hôtel et discutent d’une répartition des gains. Anastasio est resté mutique à ce rendez-vous ; Petit Jeannot n’est plus là pour donner son avis, il a été assassiné de plusieurs balles dans la tête le 11 octobre 2012, pour d’autres motifs que le ballon rond. D’Amico, lui, est toujours dans le foot, avec son ami et associé Jean-Christophe Cano, mais il répète à qui veut bien l’entendre que son temps sur cette Terre est compté.

Contrats béton

Ce supposé Yalta du foot réunissant la voyoucratie marseillaise et corse fait fantasmer les limiers de la PJ marseillaise comme ceux de l’Office central de lutte contre le crime organisé (OCLCO), qui ont aussi des écoutes téléphoniques de Jean-Pierre Bernès, le grand impresario du foot français, associant Gignac à Barresi. Il faut savoir que dans une réunion d’enquêteurs, le nom de Barresi provoque le même effet que le passage de l’actrice porno Clara Morgane devant le vestiaire des joueurs du PSG au Vélodrome, en 2005. Avec ses deux frères, Jean-Luc Barresi est considéré par les policiers comme le juge de paix du milieu marseillais. Bernard et Franck mis hors circuits via d’autres affaires judiciaires, il ne reste plus que l’aîné, entré dans les coulisses du football en 2001, après qu’il a obtenu sa licence d’agent FFF.

En 2012-2013, les juges ciblent les agents travaillant régulièrement avec l’OM, mettent sur écoute le portable d’Anigo. Ils veulent savoir dans quelles poches finissent les commissions perçues sur les transferts, souvent conséquentes. Lorsqu’il est passé de Toulouse à l’OM, en août 2010, pour un transfert avoisinant les 20 millions d’euros, Gignac a généré 1,2 million de rémunérations pour les intermédiaires, dont 200 000 pour D’Amico, par exemple.

Bernès est entendu le premier, en juin 2012. La Commanderie est perquisitionnée en janvier 2013. Une première vague de gardes à vue, visant principalement des dirigeants passés ou actuels du club, déferle en novembre 2014, emportant notamment trois présidents de l’OM en salle d’interrogatoire : Pape Diouf (2005-2009), Dassier (2009-2011) et Vincent Labrune (depuis 2011). Ils doivent décrypter le fonctionnement d’un transfert.

Une seconde vague est déclenchée en janvier, elle concerne surtout des agents, notamment Barresi et plusieurs représentants qui lui sont proches. Cuisiné, Patrick Blondeau, l’ex- capitaine de l’OM au tempérament affirmé, finit par s’agacer. «Pour moi, Jean-Luc Barresi est comme un frère, tonne celui qui est devenu l’agent de Benoît Cheyrou, milieu marseillais de 2007 à 2014. Mais je n’ai jamais fait une affaire avec lui, jamais subi la moindre pression. Pour qui me prenez-vous ? Vous saviez le joueur que j’étais, vous savez l’homme que je suis.»

Ils creusent, les magistrats, ils bloquent les comptes bancaires de Barresi, de l’agent aixois Karim Aklil - ils ont réalisé ensemble les transferts du défenseur Souleymane Diawara (de Bordeaux à l’OM, en juin 2009), de l’attaquant Mamadou Niang (de l’OM à Fenerbahçe, en août 2010). Barresi et Aklil répliquent avec des contrats commerciaux béton, verrouillés par des avocats et des comptables. L’extorsion s’éloigne, la belle affaire. La justice marseillaise sort Guillaume Cotelle de son chapeau. Il est l’héritier du juge Charles Duchaine, qui a fait trembler Jean-Noël Guérini et une grande partie de la classe politique locale. Il flaire le blanchiment à des milliers de kilomètres, embastille des tueurs corses pour des 4×4 mal acquis. Dans les transferts suspects de l’OM, il renverse la problématique. La question n’est plus de savoir où va l’argent du foot, mais pourquoi un club en dépense autant, en salaires, en commissions, en primes… Avec l’OM de l’époque Dassier, il est servi.

Largesses olympiennes

Quelques cas pratiques, parmi d’autres. Cyril Rool est un rugueux défenseur, intime du malfaiteur corse Jacques Mariani, qui a souvent rêvé d’être son agent depuis la centrale de Saint-Maur (Indre) où il croupit. A la demande de Didier Deschamps, et représenté par Barresi, il rejoint l’OM à l’été 2009. Après une saison famélique (135 minutes de jeu en L1), il résilie son contrat à l’amiable en juin 2010, et obtient dix mois de salaire sur sa seconde et dernière année, soit 800 000 euros. Dans le même cas (395 pauvres minutes de jeu en L1 en 2009-2010), l’attaquant espagnol Fernando Morientes obtient sept mois de salaire (à 200 000 euros la mensualité).

Meilleur buteur de l’OM et du championnat en 2009-2010 (18 réalisations), Niang est très convoité à l’issue de la saison et file à Fenerbahçe. Aklil, son agent, est payé par le club turc, Barresi reçoit 320 000 euros de la part de l’OM pour avoir facilité le transfert. Un mandat antidaté, mais la pratique est classique dans tous les clubs. Barresi nous a confié un jour avoir géré lui-même la négociation de club à club, haussant l’offre turque de 5 à 7 millions.

Pendant son mandat, Dassier est totalement absent des débats d’arrière-cuisine. En janvier 2010, il nous dit à propos d’un Brésilien de l’Inter Milan qu’il convoite : «Mancini, c’est mon premier transfert de président !» Il est pourtant arrivé à la tête du club en juin 2009, et l’OM a largement recruté cet été-là (Abriel, Cissé, Diawara, Heinze, Lucho, Mbia, Rool, Morientes). Et que dire de son DG, Antoine Veyrat, qui signe tous les document ? Il est surnommé «Oui-Oui» par les agents de France et de Navarre, pour sa candeur dans les pourparlers. En juillet 2009, il recrute Stéphane Mbia, venu du Stade rennais pour 12 millions d’euros, le tarif de base fixé par le club breton. Six ans après, Pierre Dréossi, le directeur sportif breton d’alors, raconte encore cette histoire à l’heure de l’apéro : «On allait baisser notre offre à 8 ou 9 millions quand l’OM a appelé. C’est la première fois de notre histoire qu’on vend un joueur au prix initial !» Veyrat ajoutera même une prime à cinq chiffres à Mbia, à chaque fois qu’il évoluera… avec le Cameroun. Aux joueurs marseillais, il accorde une prime de victoire au Vélodrome plus importante que celle pour un succès à l’extérieur, une première dans l’histoire de l’OM comme de ce sport. Généreux dans leur gestion, Dassier et Veyrat le sont tellement qu’ils sont éconduits en juin 2011 par la propriétaire du club, Margarita Louis-Dreyfus.

L’avocat d’un des dirigeants concernés résume : «Il y a quatre ans, les juges visaient le grand banditisme, misaient tous sur Anigo, Barresi. Maintenant, ils traquent l’abus de bien social chez les dirigeants, ce qui débouchera sur un recel d’abus de bien social chez les agents, voire une association de malfaiteurs. Sachant qu’ils établissent la valeur d’un joueur sur le site Transfermarkt, tout peut devenir un ABS. Même simplement prolonger le contrat d’un joueur peut être qualifié d’ABS.»

Déjà entendu en juin, Dassier risque une mise en examen ce mercredi. Diouf ou Labrune suivront dans le bureau du juge Cotelle. Mais pas les joueurs, principaux bénéficiaires, au final, des largesses olympiennes, et déjà absents des premiers procès des comptes de l’OM. La saison dernière, Labrune s’attendait à ce que Gignac finisse lui aussi en garde à vue. Mais la magistrature a une haute idée de la matière première du football, moins des intermédiaires du milieu.

Mathieu Grégoire