Les dirigeants des pays exportateurs de pétrole scrutent avec angoisse chaque jour le prix de l’or noir
L’or noir a reculé de 60 % en treize mois, au niveau de 2009. Quasi aucun pays exportateur n’équilibre ses comptes.
Jusqu’où ne descendra-t-il pas ? Les dirigeants des pays exportateurs de pétrole scrutent avec angoisse chaque jour le prix de l’or noir. A 42,5 dollars, le baril de WTI est tombé lundi au plus bas depuis février 2009, au moment où la crise financière mondiale battait son plein. Une chute de 61 % en treize mois sous l’effet d’un déséquilibre flagrant de l’offre et de la demande pour cause de stagnation européenne, ralentissement chinois et hausse de la production saoudienne. Encore une poignée de dollars de recul et le baril serait ramené au niveau sévissant en 2004, certains analystes n’excluant plus que le baril s’approche des 30 dollars à la fin de l’année.
Si cette chute provoque un énorme transfert de richesses au profit des pays importateurs , qui concentrent tout de même 85 % de l’humanité, elle affecte durement les pays exportateurs... et donc les secteurs des pays occidentaux tournés vers la fourniture de ces marchés.
Très en dessous du point mort budgétaire des exportateurs
Le prix du baril se situe désormais très en dessous du point mort budgétaire des exportateurs, le niveau qui leur permet d’équilibrer leurs comptes. « Tous les exportateurs sont en ce moment dans le rouge, hormis le Qatar et le Koweït », estime Francis Perrin, directeur de Stratégies et Politiques Energétiques. Un rouge parfois écarlate, puisqu’on estime, malgré l’opacité de certains Etats, que ce fameux point mort dépasse les 150 dollars au Venezuela (lire ci-dessous), les 110 dollars en Russie, le 80 dollars en Arabie saoudite, etc. En clair, chaque fois que Caracas vend 1 dollar de pétrole il devrait en emprunter 3.
« Les monarchies pétrolières du Golfe disposent des réserves leur permettant de faire le gros dos pendant quelques années », ajoute Francis Perrin. Les autres pays n’auront pas le choix et peuvent voir disparaître très rapidement leurs excédents des paiements courants sur lesquels est fondé leur modèle de développement. Sans compter qu’ils achètent généralement la paix sociale à coup de dépenses tirées des taxes et royalties sur l’or noir, comme l’Iran ou la Russie. « Les exportateurs fortement peuplés n’auront pas le choix et devront emprunter ou réduire leurs dépenses publiques, soit en sacrifiant leurs investissements, soit en sabrant dans les dépenses de fonctionnement, alors qu’ils ont parfois pri s de mauvaises habitudes pendant les années de vaches grasses », ajoute Francis Perrin. Une piste d’économies : la réduction des coûteuses subventions aux carburants que pratiquent beaucoup de ces pays. La Russie, très peu endettée et dotée de deux (petits) fonds souverains, dispose d’une marge de manœuvre financière. Le Venezuela, lui, est la corde au cou.
Le développement de l’offshore profond et de l’industrie nord-américaine du schiste bloqué
Parallèlement, le cours du baril s’approche de deux autres « points morts », techniques ceux-là : celui à partir duquel les puits en activité fonctionnent à perte, ce qui est actuellement le cas de nombreux puits russes en raison de leurs coûts d’extraction élevés pour des raisons géologiques ou climatiques. Et celui où des projets de développement de nouveaux puits cessent d’être profitables. Le niveau actuel des cours devrait ainsi bloquer le développement de l’offshore profond et de l’industrie nord-américaine du schiste (même si ceux qui tablaient sur des faillites en chaîne dans ce secteur se sont lourdement trompés en raison de l’agilité des ingénieurs). Un coup d’arrêt qui serait l’objectif secondaire de l’Arabie saoudite, laquelle a déclenché la chute des cours il y a un an en augmentant sa production pour défendre, priorité des priorités, ses parts de marché.
=> LES CONSEQUENCES POUR LES PAYS PRODUCTEURS :
- Le Venezuela menacé de cataclysme économique
Un cas d’école. Le Venezuela illustre jusqu’à l’absurde les effets désastreux du « socialisme du XXIe siècle » du régime de feu Hugo Chavez, conjugués aux revers de la rente pétrolière. Assis sur les principales réserves d’or noir de la planète, en incluant les ressources non conventionnelles de l’Orénoque, ce qui ne l’empêche pas, paradoxalement, de subir de régulières coupures d’électricité, Caracas est frappé de plein fouet par la chute des cours. Le pays tire 96 % de ses revenus à l’exportation du pétrole, qui fournit les deux tiers des recettes de l’Etat. Le déficit budgétaire atteindrait 20 % du PIB. Lequel devrait reculer de 7 % cette année.
Conséquence de ce revers de fortune conjugué à une politique économique inspirant tout sauf la confiance des investisseurs, la devise est en chute libre . Sur le marché noir, le bolivar est tombé à 640 pour 1 euro, contre 400 il y a trois mois… et 15 il y a deux ans. Ce qui renchérit d’autant les produits importés, c’est-à-dire la quasi-totalité des produits consommés au Venezuela, puisque très peu d’industries locales ou d’exploitations agricoles ont survécu au modèle de développement instauré par le prédécesseur du président Nicolas Maduro.
Le pays est donc ravagé par la pire inflation de la planète, évaluée à plus de 100 % (ce chiffre est désormais interdit de publication, comme celui des homicides pour « atteinte au moral de la nation »). La chute des revenus pétroliers, qu’aggrave une baisse tendancielle de la production, à 2,8 millions de barils par jour (la plupart des compagnies occidentales capables de mener prospections et développements de puits ont été expulsées), menace aussi la solvabilité de l’Etat. Le coût d’assurance contre un défaut de paiement du Venezuela est le troisième plus élevé de la planète, derrière l’Argentine et le Pakistan. Nombre d’analystes disent s’attendre à une banqueroute début 2016, qui ne serait que la onzième de l’histoire du pays.
A cela s’ajoutent les pénuries chroniques dues au cycle infernal à l’œuvre depuis des années : expropriations pour punir les industriels accusés de spéculation, perte de confiance des opérateurs privés et baisse des investissements, aggravation des pénuries, etc. Des magasins sont régulièrement pillés et certains scannent l’index des clients pour les empêcher de contourner le rationnement. Les Vénézuéliens ne seraient que 19 %, selon un sondage récent, prêts à donner leur voix lors des législatives de décembre au parti au pouvoir, qui ne peut même plus se targuer de cette réduction des inégalités qui faisait la force de Chavez. La femme la plus riche du pays est… la fille d’Hugo Chavez.
- L’Iran désostracisé mais déstabilisé à court terme
La bonne nouvelle pour l’Iran, c’est qu’il va pouvoir revenir dès le début 2016 sur les marchés mondiaux de pétrole grâce à la levée des sanctions occidentales. La mauvaise, c’est que cette simple perspective de retour d’un pays assis sur les quatrièmes réserves mondiales de pétrole contribue à une déprime des cours, comme on a pu le voir en juillet juste après l’annonce de cet accord diplomatique. Or l’or noir fournit 80 % des recettes en devises du pays et les deux tiers de celles de l’Etat. A court terme, l’Iran dirigé par Hassan Rohani (photo) va donc souffrir, d’autant plus que ce pays de près de 80 millions d’habitants, très jeunes, a des besoins considérables sur le plan social.
- Le pétrole russe à peine rentable désormais
La Russie dirigée par Vladimir Poutine, est à coup sûr un des pays les plus affectés par la chute des cours. Compte tenu de ses coûts d’extraction très élevés dans le sol gelé de Sibérie (de 40 à 50 dollars le baril), la plupart des puits du numéro un mondial des hydrocarbures ne sont plus rentables au niveau de cours actuel. Moscou qui tire du pétrole le tiers de ses recettes en devises, peut puiser dans ses fonds souverains pour maintenir son niveau de vie. Mais la chute des cours du pétrole, conjuguée aux sanctions occidentales en raison de la crise ukrainienne, fait baisser le PIB de 4 % en rythme annuel actuellement et menace même à terme l’excédent des paiements courants.
- L’Arabie saoudite obligée d’emprunter
Soixante milliards de dollars. C’est ce que l’Arabie saoudite a puisé dans ses réserves depuis le début de l’année pour maintenir son train de vie, malgré la chute des cours du pétrole qu’elle a elle-même initiée pour défendre ses parts de marché. Le pétrole représente en effet 90 % des ressources fiscales de l’Etat. Mais Riyad ne compte pas brader des actifs de son fonds souverain et a dû se résoudre à emprunter, pour la première fois depuis 2007. Elle a annoncé il y a dix jours qu’elle émettrait des obligations pour un volume total de 27 milliards de dollars d’ici à fin 2015 et a placé, très aisément, une tranche de 5,3 milliards le 10 août.
- Le Nigeria entre en zone de danger
Devenu la principale économie d’Afrique grâce aux exportations de pétrole, le Nigeria dirigé par Muhammadu Buhari, est forcément touché par la chute des prix, même si l’or noir pèse pour à peine plus du tiers du PIB du pays. La monnaie nationale, le naira, souffre depuis un an, ce qui dope les prix des produits importés. Résultat l’inflation risque d’être bientôt à deux chiffres. La croissance demeure vigoureuse, attendue à plus de 4 % cette année. Ce revers conjoncturel frappe en outre un pays qui lutte contre Boko Haram dans le Nord et gangréné par la corruption, qui aurait siphonné des dizaines de milliards de dollars des comptes de la compagnie pétrolière nationale.
Yves Bourdillon