Dans un rapport très attendu rendu public mardi 31 janvier, la Cour des comptes met à plat les coûts de production de l’électricité nucléaire, qu’il s’agisse des dépenses d’investissement passées, des dépenses courantes (charges d’exploitation) ou des dépenses futures (démantèlement et gestion des combustibles et des déchets).
Ce rapport de près de 400 pages a été commandé par le Premier ministre le 17 mai 2011, quelques semaines après la catastrophe de Fukushima. Les chiffres ainsi posés doivent faire office de "boîte à outils" pour alimenter le débat sur le nucléaire, de façon dépassionnée. Voici ses principales conclusions.
Le développement de la filière nucléaire a demandé de lourds investissements
Les investissements publics et privés réalisés depuis les années 1970 dans l’électricité nucléaire en France s’élèvent selon la Cour des comptes à 228 milliards d'euros.
Cette somme comprend le montant de la construction des installations nécessaires à la production d'électricité nucléaire : 121 milliards d'euros (hors coût de Superphénix), dont 96 milliards pour la seule construction des 58 réacteurs, dont les plus anciens (Fessenheim 1 et 2) sont entrés en service en 1978.
Il comprend aussi les dépenses de recherche publique et privées depuis les années 1950, évaluées à 55 milliards d’euros, soit environ un milliard par an.
De plus, la production du Mégawattheure se révèle plus coûteuse qu'annoncée. Alors que le prix de la production de l’énergie nucléaire avait été évalué à 33,1 euros par la Commission Champsaur, la Cour des comptes propose de le réévaluer à hauteur de 49,5 euros.
Le coût de production par l’EPR de Flamanville pourrait pour sa part être compris "au minimum, entre 70 et 90 euros par MWh". Tout en sachant qu’il ne s’agit pas du coût de l’EPR "de série", qui reste très incertain et empêche ainsi la Cour de "donner et valider un calcul du coût de production d’un parc d’EPR".
Les coûts futurs de la filière sont appelés à grimper
Principale cause : l'évolution des dépenses de maintenance des installations, dont le montant annuel moyen devrait au minimum doubler sur la période 2011-2025 par rapport à 2010. Ils devraient s'élever à 3,7 milliards par an en moyenne entre 2011 et 2025, soit plus du double des montants dépensés entre 2008 et 2010.
Pour le reste, il existe de nombreuses incertitudes, aussi bien en matière de coût du démantèlement des installations nucléaires que de gestion à long terme des déchets radioactifs, par manque d'expérience et parce que certains choix ne sont pas encore arrêtés.
En ce qui concerne le démantèlement par exemple, les dépenses de fin de vie des 19 centrales sont estimées aujourd’hui à 18,4 millions d’euros mais la Cour des comptes précise dans sa synthèse :
Les devis ont très généralement tendance à augmenter quand les opérations se précisent, d’autant plus que les comparaisons internationales donnent des résultats très généralement supérieurs aux estimations d’EDF. "
En ce qui concerne la gestion des déchets radioactifs, la Cour des comptes pointe un écart notable entre le chiffrage d’EDF, 23 milliards d’euros actuellement, et celui de l’ANDRA (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs), 36 milliards d’euros. Ces coûts ne devaient toutefois pas représenter plus de 5% des coûts de fin de vie.
Autre incertitude : la Cour a prévenu que le non-prolongement des réacteurs d'EDF au-delà de 40 ans nécessiterait "un effort très considérable d'investissement équivalent à la construction de 11 EPR d'ici 2022", ce qui lui parait "très peu probable, voire impossible". Elle ne s’avance pas pour autant sur des scénarios de mix-énergétiques.
Les provisions d’EDF sont opaques
Les provisions d’EDF sont sous-évaluées et opaques. Sur un total de 27,8 milliards d'euros de provisions pour opérations de fin de cycle devant être couvertes par des actifs dédiés, 18,2 milliards d'euros étaient couverts par des titres financiers côtés, au 31 décembre 2010, 2,7 milliards d'euros n’étaient pas censés être couverts à cette date et 6,9 milliards d'euros étaient constitués de couvertures croisées entre opérateurs du domaine nucléaire, y compris l’Etat. Un montage qui mérite d'être clarifié.
Morgane Bertrand avec AFP