Un employeur peut-il refuser de couvrir la pilule du lendemain d’une employée au nom de la religion?

C’est la question posée ce mardi à la Cour suprême des Etats-Unis. Le débat porte à la fois sur

l'«Obamacare» (la grande loi d’Obama sur la santé validée en 2012), sur l’accès à la contraception

et sur le droit d’exprimer ses convictions religieuses. La Cour devrait rendre sa décision en juin.

SUR QUOI PORTE LE CONFLIT ?

A l’origine de ce premier recours en plus haut lieu contre l’Obamacare, trois entreprises chrétiennes:

Hobby Lobby, un groupe de fournitures d’art de 500 magasins dont le siège est en Oklahoma,

Conestoga, un fabricant de placards d’obédience mennonite (une branche du protestantisme),

et Mardel, une librairie religieuse. En tant qu’entreprises, elles sont tenues par la loi sur la santé de

fournir à leurs employés une assurance maladie qui prenne en charge les différents moyens de

contraception. Faute de quoi elles s’exposent à une amende. Or toutes trois refusent de s'y plier

car elles jugent que parmi les contraceptions prises en charge, deux stérilets et deux pilules du

lendemain (Plan B et Ella) sont assimilables à des méthodes d’avortement. Ce qui va à l’encontre

de leurs convictions.

QUE FONT VALOIR LES EMPLOYEURS ?

«Nous ne payerons pas pour un produit abortif, quel qu’il soit. Nous pensons que la vie commence d

ès la conception», déclare Steve Green, président de Hobby Lobby, sur le site de l’entreprise, très fourni

sur le sujet. «Il ne s’agit pas de discrimination, il s’agit d’une entreprise familiale qui a démontré sa

volonté de bien traiter ses salariés et qui demande simplement à ne pas avoir à appliquer une mesure

du gouvernement qui l’oblige à faire quelque chose contraire à sa foi»,plaide Lori Windham, avocate du Becket Fund for Religious Liberty, qui défend Hobby Lobby. L’entreprise souligne qu’elle n’a pas de problèmes

avec les autres moyens de contraception et qu’elle fournit déjà un certain nombre d’assurances à ses

employés.

Les trois entreprises en appellent à la fois au respect du premier amendement de la Constitution,

qui protège l’exercice de la religion, et au Religious Freedom Restoration Act. Cette loi fédérale

adoptée par le Congrès en 1993 dispose que l’Etat ne peut interférer «de manière substantielle» avec

les convictions religieuses d’un individu ou d’un groupe religieux sauf raison majeure. Ce qui laisse

une marge d’interprétation. C’est d’ailleurs à ce titre que plusieurs associations et organisations

religieuses ont été exemptées de l’obligation de l’Obamacare concernant la contraception. Mais

qu’en est-il des entreprises à but lucratif ? C’est toute la question.

Protesters pray at the steps of the Supreme Court as arguments begin today to challenge the Affordable Care Act's requirement that employers provide coverage for contraception as part of an employee's health care, in Washington March 25, 2014. The U.S. Supreme Court convened on Tuesday to consider whether business owners can object on religious grounds to a provision of President Barack Obama's healthcare law requiring employers to provide health insurance that covers birth control.     REUTERS/Larry Downin

Le camp «prolife» devant la Cour suprême, ce mardi à Washington. (Photo Larry Downing. Reuters)

QUE DIT LE GOUVERNEMENT ?

Pour l’administration Obama, cette décision «n’est pas du ressort de l’employeur qui finance

le plan [d’assurance santé] ou des individus propriétaires de l’entreprise», argue l'avocat Donald

Verrilli dans sa réponse à la Cour. «Aucun tribunal n’a jamais considéré une entreprise à but lucratif

comme une organisation religieuse devant la loi fédérale.» En outre, fait valoir le gouvernement,

un employeur n’a pas à interférer avec les choix de contraception de ses employées.

Protesters rally at the steps of the Supreme Court as arguments begin today to challenge the Affordable Care Act's requirement that employers provide coverage for contraception as part of an employee's health care, in Washington March 25, 2014. The U.S. Supreme Court convened on Tuesday to consider whether business owners can object on religious grounds to a provision of President Barack Obama's healthcare law requiring employers to provide health insurance that covers birth control.     REUTERS/Larry Downi

«Nous sommes les 99% de femmes catholiques qui utilisent la contraception», côté «prochoice», devant la

Cour suprême ce mardi. (Photo Larry Downing. Reuters)

QUEL EST L’ENJEU ?

Si Hobby Lobby l’emporte, ce serait un sérieux revers pour la déjà contestée loi d’Obama et

un recul pour l’accès à la contraception. Au-delà, ce pourrait être la porte ouverte à d’autres

discriminations, souligne l’avocat Walter Dellinger, dansun argumentaire soumis à la Cour

pour le compte du gouvernement: «Pour la première fois, les entreprises commerciales

pourraient demander et obtenir d’être exemptées de lois qui s’appliquent à tous les autres.»

 David Masci, chercheur au Pew Research Center, relève ainsi qu'«une décision favorable à

Hobby Lobby et Conestoga donnerait aux entreprises à but lucratif une solide base juridique

pour s’opposer, au nom de la religion, à employer des gays et lesbiennes ou à accorder les

mêmes avantages à des couples d’employés de même sexe».

Richard W. Garnett, un professeur de droit qui argumente côté plaignants, rétorque qu'en

cas de telles discriminations, peu d’entreprises l’emporteraient devant la loi, à part peut-être

une entreprise de photographie de mariage qui refuserait les couples de même sexe.

Le débat est juridique mais aussi religieux. Dans le Washington PostCheryl B. Anderson,

enseignante en théologie et membre de la communauté méthodiste, en appelle à la «compassion chrétienne»«Rien dans la tradition chrétienne n’oblige à dénier aux femmes pauvres des

services accessibles par le reste de la société. Rien ne suggère que les scrupules d’un employeur

vaillent davantage que la santé d’une employée.» Dans le même journal, le pasteur Rick Warren 

soutient pleinement Hobby Lobby au motif «qu’une religion qui ne peut être pratiquée que dans

un sanctuaire, et non dans la vie de tous les jours d’une entreprise, est une foi sans valeur». 

 

Cordélia BONAL