Vous avez dit realpolitik ? "C'est quand la France est frileuse ou silencieuse qu'elle recule", affirmait François Hollande le 27 août dernier dans son discours aux ambassadeurs. Pourtant, mercredi 17 juillet, c'est dans le cadre d'une visite tout ce qu'il y a d'officiel qu'il reçoit le président birman Thein Sein à l'Elysée.
Au cours de ses deux années à la présidence, Thein Sein, qui a entrepris de vastes réformes démocratiques, a appelé à de nouveaux investissements internationaux et obtenu la levée de nombreuses sanctions européennes et américaines. Ses voyages à l'étranger sont l'occasion de plaider également dans ce sens. Aujourd'hui, les échanges commerciaux entre la France et la Birmanie restent limités et seul Total, qui exploite le champ gazier de Yadana, représente un important investissement d'une entreprise française dans le pays.
Prisonniers d'opinion
Certes, la Birmanie renoue avec quelques libertés depuis la dissolution de la junte en mars 2011. L'ancien général Thein Sein a libéré en plusieurs vagues des centaines d'opposants, moines, journalistes, avocats… Il a d'ailleurs affirmé lundi lors de sa visite à Londres "qu'il n'y aura plus de prisonniers d'opinion en Birmanie d'ici la fin de l'année". Mais est-ce suffisant ?
"Nous avons été reçus lundi à l'Elysée et avons appris que le chef de l'Etat n'aborderait pas avec le président birman la question des droits de l'homme", a affirmé mardi lors d'une conférence de presse Julien Bayou, de l'association Avaaz. Première préoccupation des militants présents : le sort des Rohingyas, une minorité musulmane d'un petit million de personnes, considérée comme l'une des plus persécutée du monde. "La pression internationale sur le pouvoir birman doit être maintenue car le pays connaît une très forte aggravation des violences à l'égard des Rohingyas et des musulmans en général y compris avec l’implication du gouvernement birman", affirme l'auteur et journaliste spécialiste de la question, Sophie Ansel.
"Sous-hommes"
"Des centaines de Rohingyas ont déjà été tués et plus de 140.000 déplacés dans le pays", explique la jeune femme. "Les extrémistes boudhistes, qui les qualifient de'chiens' ou de 'sous-hommes', sont totalement décomplexés vis-à-vis d'hommes qu'ils considèrent sans aucun droit. On observe un vrai militantisme qui appelle à leur déportation". Les associations évoquent une "incitation à la haine", une "campagne de nettoyage ethnique" ou encore des "crimes contre l'humanité avec l'implication des autorités birmanes".
Les témoignages des exactions commises à l'encontre de cette population sont atterrants : assassinats, lieux de cultes brûlés, villages attaqués… La population rohingya fuit la région de l'Arakan, où les heurts ont repris le plus récemment. Une région désormais sous administration militaire directe. La liberté de la presse, qui venait d'être partiellement rétablie dans le pays, a connu un coup d'arrêt net. Une interruption qui "encourage la haine à l'égard des Rohingyas", estime Benjamin Ismaïl, responsable Asie à Reporters sans frontières : "La couverture biaisée des événements a participé au déclenchement des exactions, au déchaînement de haine à l'égard des musulmans de l'Arakan", explique-t-il.
Aung San Suu Kyi silencieuse
La communauté internationale est restée silencieuse face à ces événements, alors qu'aucune agence de l'ONU ne peut accéder encore au pays et que le leader de l'opposition, la prix Nobel de la Paix Aung San Suu Kyi, refuse de s'exprimer sur la question des Royingas. "Le monde voit l'état de la Birmanie en fonction de ce qu'elle dit", explique Célestine Foucher, coordinatrice d'Info Birmanie. "Avec ce silence, le monde s'est tu. Elle est maintenant candidate pour la présidentielle de 2015 et défendre les musulmans ne lui serait sans doute pas bénéfique électoralement…"
Pour les ONG, la visite à Londres et Paris du président birman est donc l'occasion de rompre le silence qui pèse sur le sort des Rohingyas dont il leur semble qu'il "porte les signes avant-coureur d'un génocide tel que celui du Rwanda". "François Hollande doit exiger ce mercredi une enquête internationale, réclamer l'accès à la citoyenneté birmane pour les Rohingyas, permettre un accès humanitaire aux camps et plaider pour l'ouverture d'un bureau de l'ONU", affirme Julien Bayou.
Aucune conférence de presse ou allocution n'est prévue à l'issue de la rencontre des deux présidents. La ministre française du Commerce extérieur, Nicole Bricq, est d'ores et déjà attendue en Birmanie fin juillet.
Céline Lussato - Le Nouvel Observateur