La crédibilité de l’athlétisme russe a été réduite à néant, lundi 9 novembre, par le rapport d’une commission d’enquête indépendante qui met au jour un dopage d’Etat, semant le doute sur l’ensemble des performances des sportifs russes et sur les résultats des Jeux olympiques de Londres, en 2012, et de Sotchi, en 2014.
Cinq jours après la mise en examen en France de l’ex-patron de l’athlétisme mondial, Lamine Diack, et de son responsable de l’antidopage, Gabriel Dollé, dans une affaire de corruption, un nouveau coup est porté au sport roi des Jeux olympiques, et d’autres devraient suivre.
Processus de suspension de la fédération russe
Comme recommandé par la commission d’enquête mise sur pied par l’Agence mondiale antidopage (AMA), la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) a immédiatement engagé le processus visant à suspendre la fédération russe. La participation des athlètes russes aux Jeux olympiques de Rio en 2016 ne sera possible qu’au prix d’une remise en ordre rapide et crédible de leur fédération, a insisté le président de la commission, Dick Pound.
La commission recommande en outre le retrait de l’accréditation du laboratoire antidopage de Moscou, la mise au ban de l’agence russe antidopage et la suspension à vie de cinq athlètes – dont la championne olympique du 800 m, Maria Savinova – et cinq entraîneurs.
La commission d’enquête avait été créée à la suite des révélations de la chaîne ARD sur le fonctionnement de l’athlétisme russe. Mais l’ampleur des infractions découvertes a été « pire que prévu », a estimé M. Pound, ancien président canadien de l’AMA.
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« Pas d’autre conclusion possible » qu’un dopage d’Etat
Lors d’une conférence de presse à Genève, M. Pound a confirmé la complicité de membres de l’IAAF dans la couverture des cas positifs et mis directement en cause l’Etat russe :
« Notre conclusion est que tout cela n’aurait pu avoir lieu sans que les autorités n’en aient connaissance et ne donnent leur consentement, implicite ou explicite. »
Est-ce à dire qu’il s’agissait d’un dopage d’Etat ?
« Si l’on entend par là y consentir et autoriser [le dopage], oui, il n’y a pas d’autre conclusion possible. »
L’implication de Moscou dans le dopage de ses athlètes se manifestait notamment par la présence fréquente d’un agent du FSB, les services secrets russes, au laboratoire antidopage moscovite. Cette surveillance s’est notamment fait sentir durant les Jeux olympiques d’hiver de Sotchi, qui ont vu la Russie terminer en tête du tableau des médailles (33 dont 13 d’or) : « Nous n’avons pas de preuve solide que les échantillons [des JO de Sotchi] ont été manipulés mais il est difficile d’imaginer quel intérêt l’Etat russe peut trouver aux urines de sportifs », a commenté Dick Pound.
« Produire des vainqueurs »
Le directeur du laboratoire, Grigory Rodchenkov, a notamment reconnu avoir détruit 1 417 échantillons pour empêcher l’AMA de pratiquer de nouveaux tests après les révélations sur l’athlétisme russe. M. Rodchenkov s’entretenait, une fois par semaine, avec un agent du FSB. On peut lire dans le rapport de la commission :
« Des déclarations de témoins et d’autres preuves ont semble-t-il mis en lumière un haut niveau de collusion parmi les athlètes, les entraîneurs, les médecins, les officiels et les agences sportives pour fournir de façon systématique aux athlètes russes des produits dopants afin d’atteindre le principal objectif de l’Etat (…) : produire des vainqueurs ».
L’enquête de la commission portait sur ces dernières années uniquement, mais Dick Pound a laissé entendre que ce dopage d’Etat a cours depuis des décennies en Russie :
« Nous supposons, mais ce n’est qu’une supposition, que c’est une attitude héritée de l’époque de la guerre froide, des années 60, 70 et 80. »
La FIFA, les JO d’hiver et la natation, victimes par ricochet
Les conclusions de ce rapport sont loin de concerner le seul athlétisme et la seule Russie. Le ministre des sports russe, Vitali Moutko, que la commission juge « complice » de ce système, est aussi membre du comité exécutif de la FIFA et président du comité d’organisation de la Coupe du monde 2018 en Russie.
La crédibilité de toutes les compétitions ayant eu lieu ces dernières années en Russie et contrôlées par le laboratoire de Moscou apparaît largement entamée : outre les Jeux d’hiver de 2014 à Sotchi, citons par exemple les championnats du monde de natation de 2015 (Kazan) et ceux d’athlétisme en 2013 (Moscou).
Une enquête mondiale
Ce rapport intermédiaire sera suivi d’ici à la fin de l’année de deux compléments :
- L’un portant sur la passivité de l’IAAF quant à la longue liste de profils sanguins suspects, révélée par ARD et le Sunday Times en août. A cet égard, le Kenya pourrait être la prochaine fédération mise en cause par la commission d’enquête, a laissé entendre Dick Pound.
- L’autre sur les soupçons de corruption et de dissimulation des contrôles positifs par les plus hauts responsables de l’IAAF, une fois que la justice française aura donné son feu vert à la commission. Sur cette question, Interpol a annoncé dans la foulée de la publication du rapport le lancement d’une enquête mondiale, pilotée par la France et au surnom évocateur : « Augias ».
Il faudra au moins cela pour nettoyer les écuries du sport mondial, dont l’année 2015 aura mis en lumière l’effrayante saleté.