Plusieurs salariés d’Air France ont été arrêtés, lundi, une semaine après les incidents en marge du comité central d’entreprise (CCE) du groupe. A cette occasion, la direction avait annoncé un plan de licenciements portant sur 2 900 postes.
Comment se sont déroulées ces interpellations ?
Les arrestations, décidées «sur la base de témoignages et de la vidéosurveillance», ont eu lieu vers 6 heures du matin, «sans incident», selon le parquet de Bobigny et des sources policières. Elles se sont déroulées dans le Val-d’Oise, en Seine-et-Marne, dans les Yvelines et l’Aisne . Quatre salariés d’Air France ont été arrêtés à leur domicile. Une cinquième personne a été interpellée un peu plus tard et une autre placée en garde à vue après avoir été convoquée.
Que risquent les salariés interpellés ?
Leur arrestation fait suite à plusieurs plaintes déposées au cours des derniers jours. Celles de six vigiles et trois cadres de l’entreprise pour des «violences» et celle d’Air France pour «entrave au CCE» et «dégradations». Les sanctions peuvent aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende, si les violences ont entraîné une incapacité totale de travail de plus de huit jours. Voire plus si des circonstances aggravantes sont retenues.
«Peut-être que les personnes arrêtées seront juste interrogées, mais ce que l’on craint, ce sont les licenciements», note un syndicaliste. En parallèle de ces interpellations, des notifications de sanctions devaient en effet être envoyées, lundi, par la direction d’Air France aux personnes impliquées dans les incidents de lundi. Or, le groupe a déjà annoncé, la semaine dernière, que ces dernières pourraient aller jusqu’au licenciement. Et ce, alors que le Premier ministre, Manuel Valls, a promis des «sanctions lourdes» contre ceux qu’il avait qualifiés de «voyous».
Quelle est la réaction des syndicats ?
Ils sont divisés. D’un côté, les plus réformistes ne se formalisent pas de ces interpellations. «C’est normal, note Pascal Duran, de la CFTC. Ces arrestations étaient obligatoires. Ce qui s’est passé est scandaleux. On ne rentre pas dans une réunion comme ça pour agresser un DRH.» De l’autre, les organisations plus contestataires plaident la détresse des salariés face à la «violence sociale» de la situation pour expliquer leur geste.
«Avait-on besoin de venir les chercher au petit matin, si cela se trouve devant leurs enfants ?» , questionne André Villanueva, secrétaire de section CGT du fret de l’aéroport de Roissy Charles-de-Gaulle. « Une simple convocation aurait suffi, les gens seraient venus, ils n’auraient pas fugué. Ce ne sont pas des voyous. Le risque, c’est que tout ça mette le feu aux poudres». Même discours de Christophe Malloggi, de FO Air France, qui s’indigne, auprès de l’AFP, que les salariés aient été traités «comme des membres du grand banditisme ou des trafiquants de drogue ou d’armes» . Et un élu Sud d’ajouter : «Entre l’annonce des licenciements, les propos déplacés du PDG d’Air France [lors des rencontres patronales de Royaumont, en décembre 2014, ndlr], les arrestations : la direction a allumé plusieurs mèches.»
Leur sort pourrait donc peser dans la suite du conflit social. D’autant que le symbole autour de ces six employés est double. D’abord parce qu’ils travaillent dans la branche Cargo ou Air France Industries, comme magasiniers ou encore logisticiens. «Or, ce sont des secteurs qui ont déjà payé un lourd tribut au cours des dernières réformes mises en place par le groupe», explique l’élu Sud. Non seulement le fret est en sous-effectif, mais il est aussi très touché par la sous-traitance. Du coup, les gens ont peur. Surtout qu’ils ont déjà fait beaucoup d’efforts jusqu’alors» . Autre élément abrasif, plusieurs des salariés interpellés sont syndicalistes, et certains auraient des mandats syndicaux. L’un d’eux était candidat aux élections de délégué du personnel en mars 2015, sous les couleurs de la CGT. Un élément qui a, sous doutes, pesé dans le réveil des politiques, qui n’ont pas manqué de s’exprimer sur le sujet.
Et des politiques ?
Jean-Luc Mélenchon (Parti de Gauche, PG) a évoqué un «jour de deuil» et souhaité «que la résistance et la colère soient plus contagieuses que la peur». Cécile Duflot (Europe Ecologie - les Verts) s’est également fendue d’un message ironique sur Twitter. D’autres, comme Pierre Laurent, le secrétaire national du Parti communiste, et plusieurs élus PG, se sont rendus au rassemblement de soutien organisé à Roissy, par la CGT, lundi après-midi, et qui a réuni environ 150 personnes. Réclamant la libération des salariés arrêtés, l’élu PC a qualifié les interpellations d’«indignes de la République». Plus mesuré, Daniel Goldberg, député frondeur PS de Seine-Saint-Denis, a par ailleurs invité des salariés d’Air France à venir, mardi, à l’Assemblée nationale, pour discuter de leur perception du «dialogue social» dans la compagnie. Des discours aux antipodes de ceux tenus par le camp Les Républicains, qui s’est montré très virulent à l’égard des interpellés, sur fond de contestation de la légitimité des syndicats.