Reportage
Nouveaux ravages chinois dans les forêts du Mozambique
Nito Silva essuie les copeaux de bois collés sur son visage en sueur, sa tronçonneuse toujours en marche. « Je débite une quarantaine d’arbres par jour », affirme-t-il, appuyé sur un arbre qu’il vient d’abattre. Ce Mozambicain de 45 ans, vêtu d’un T-shirt sale, d’un pantalon déchiré et de chaussures éraflées, coupe des arbres illégalement, sans porter ni casque, ni protections auditives, ni lunettes de sécurité. Des centaines de souches autour de lui témoignent de son dur labeur.
Avant, il était fermier et cultivait du manioc, du maïs et des haricots. Il y a huit ans, des hommes d’affaires chinois sont venus dans sa région et lui ont proposé un gros salaire pour couper des arbres. Ils lui ont prêté une tronçonneuse et passent maintenant une fois par semaine récupérer les troncs en camion, en empruntant une piste cahoteuse de 60 kilomètres. « La journée, ce sont les plus épais, et la nuit les plus fins, interdits par la loi, explique Nito Silva, qui sait que son travail est illégal. Mais que puis-je faire d’autre ? Quand j’étais agriculteur, je ne gagnais presque rien et j’ai sept enfants à nourrir. »
Des arbres vendus cent fois plus cher
Lui et ses deux assistants touchent 160 à 300 meticais mozambicains (4 à 7,50 euros) par arbre, en fonction du type de bois. Les hommes d’affaires chinois vendent des arbres feuillus exotiques rares, tels que le mopane, l’ébène, le combretum imberbe, le panga panga, la grenadille d’Afrique et le wengé, cent fois plus cher dans leur pays. Cependant, le revenu de Nito Silva est tout à fait correct pour le Mozambique, où plus de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté et où les salaires mensuels dépassent rarement 3 000 meticais (76 euros).
D’autres bûcherons mozambicains gagnent moins. Pedro Abilio, 28 ans, touche par exemple 2 500 meticais (65 euros) par camion de 80 troncs qu’il livre. Il perd une partie de cet argent car il travaille officiellement pour un intermédiaire mozambicain. Le bois est pourtant pris directement en charge par les Chinois qui acheminent chaque semaine sept camions jusqu’au village de Pedro, au cœur de la forêt dans la province de Tete, pour récupérer les troncs d’arbres.
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Comme Nito Silva et Pedro Abilio, de nombreux Mozambicains abattent des arbres illégalement pour le compte d’entreprises chinoises. Bien souvent, celles-ci leur prêtent d’abord de l’argent pour acheter du matériel, par exemple une tronçonneuse, ce qui les place dans un état de dépendance et les oblige à continuer de couper du bois pour pouvoir rembourser leur dette. En se fournissant auprès de citoyens mozambicains, les Chinois évitent les coûts élevés occasionnés pour obtenir une licence d’exploitation et l’obligation de replanter les arbres.
« Si les entreprises chinoises respectaient les règles, elles ne dégageraient qu’environ 10 % de bénéfices », estime Ana Alonso, une Espagnole de 65 ans qui milite contre l’exploitation illégale des forêts au Mozambique depuis plus de vingt ans. Selon elle, soudoyer les autorités au lieu de payer des impôts permet d’augmenter les bénéfices de plus de 50 %.
Des montagnes de troncs vertigineuses
« Si la police nous arrête, nous lui donnons de l’argent pour pouvoir poursuivre notre route », confirme le souriant « M. Huo ». Cet homme d’affaires chinois de 53 ans, qui ressemble à un cow-boy asiatique vêtu d’une veste de camouflage kaki et d’un chapeau gris, est le patron de Yixing Madeira, l’une des nombreuses entreprises chinoises présentes sur la route principale menant à Beira. En nous rendant dans cette ville portuaire, nous croisons des douzaines de camions bourrés de troncs d’arbres, souvent conduits par un Chinois. Des dizaines de milliers de troncs, empilés en montagnes si hautes qu’elles en donnent le vertige, attendent sur les terrains de M. Huo et de ses voisins chinois avant d’être envoyés en Chine. Cette vision révèle la vitesse incroyable à laquelle les Chinois vident les forêts primitives du Mozambique.
La déforestation illégale se déroule de façon similaire dans des pays tels que le Congo-Brazzaville, la République démocratique du Congo, la Guinée-Bissau, le Cameroun, la Gambie, Madagascar, la Russie, l’Indonésie, le Myanmar, le Laos et le Vietnam. D’après Greenpeace, cette déforestation aura des conséquences non seulement sur le réchauffement climatique, mais aussi sur la pluviométrie.
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« La déforestation en Amazonie et en Afrique centrale a réduit directement la pluviométrie dans le Midwest des Etats-Unis pendant la période de croissance des cultures, indique l’ONG dans un récent rapport. La déforestation complète du bassin du Congo intensifiera certainement la mousson en Afrique de l’Ouest, tout en augmentant les températures de 2 à 4 °C et en réduisant la pluviométrie jusqu’à 50 % dans toute la région. »
Selon M. Huo, 120 conteneurs de 20 m3 remplis de bois partent chaque semaine de Beira vers la Chine. Etant donné que, depuis 2007, de nombreux types de bois de qualité exceptionnelle ne peuvent plus être exportés sous forme de troncs d’arbres et doivent être transformés au Mozambique pour créer plus d’emploi, M. Huo coupe simplement les troncs en deux à l’aide d’une machine. « Ainsi, on peut mettre plus de bois dans le conteneur », dit-il avec un petit rire, en nous tendant des bouteilles d’eau minérale et en allumant une cigarette.
« Les policiers et les politiques sont des délinquants »
Nous ne sommes pas autorisés à prendre des photos des ouvriers mozambicains déchargeant les camions remplis de troncs d’arbres qui viennent d’arriver à l’aide d’un chariot élévateur. M. Huo déclare avec franchise qu’il préfère acheter le bois à des citoyens mozambicains car cela lui permet de « faire plus de profits ». Il n’a pas mauvaise conscience, car « les gardes forestiers, les policiers et les responsables politiques sont tous des délinquants par ici. »
Tout en gloussant, il raconte que des gardes forestiers se sont présentés à sa porte un soir il y a quelques jours, en lui proposant de lui vendre des arbres coupés illégalement. Puis il éclate de rire lorsque nous lui demandons ce qu’il fera quand il n’y aura plus de bois au Mozambique : « J’irai dans un autre pays où il y a encore du bois, bien sûr ! » L’homme d’affaires est convaincu que les forêts de feuillus du Mozambique auront disparu dans quelques années.
Menaces de mort
« Alors que cette catastrophe écologique se déroule au Mozambique, la communauté internationale ne semble guère s’en soucier », déplore Ana Alonso, qui se dit persuadée que la déforestation aura une influence négative sur le réchauffement climatique. Bien qu’elles soient moins connues que celles d’Amazonie, ces forêts constituent également les poumons de notre planète. »
Néanmoins, il serait impossible, selon elle, de laisser les forêts de feuillus complètement intactes : « Il y a des gens qui y vivent. Ils doivent subvenir à leurs besoins. » Voilà pourquoi elle exploite depuis les années 1990 une forêt de 60 000 hectares où elle et ses employés prélèvent et replantent des arbres de façon maîtrisée. « C’est le meilleur moyen de protéger une forêt de feuillus tropicale », précise-t-elle. Bien qu’elle paie toujours ses impôts, le gouvernement du Mozambique tente par tous les moyens d’empêcher ce qu’elle fait, accuse-t-elle. Sa licence d’exploitation lui a par exemple été retirée pour des motifs peu clairs en 2010 et elle ne l’a récupérée qu’après un procès de deux ans. Depuis qu’elle a reçu des menaces de mort anonymes, elle fait appel à une société de sécurité.
Des bûcherons illégaux aidés par le ministre
« Plusieurs responsables politiques et fonctionnaires mozambicains deviennent riches rapidement grâce aux pots-de-vin chinois tandis que les habitants de la forêt demeurent désespérément pauvres », regrette la militante. Aux termes du droit mozambicain, les villages locaux devraient bénéficier de 20 % de l’impôt prélevé sur les arbres coupés d’Ana Alonso. Mais selon elle, cet argent ne leur revient pas du tout.
L’ONG britannique Environmental Investigation Agency (EIA) tient également les responsables politiques mozambicains corrompus pour responsables de l’exploitation illégale des forêts. Dans un rapport publié récemment, cette organisation cite des marchands de bois chinois expliquant à des chercheurs infiltrés comment obtenir l’aide de députés mozambicains et de l’actuel ministre de l’Agriculture, José Pacheco, qui s’est justement vu confier la mission de lutter contre l’exploitation illégale des forêts.
93 % de l’exploitation forestière au Mozambique est illégale
À partir des chiffres des exportations mozambicaines et des importations chinoises, l’EIA a calculé que 93 % de l’exploitation forestière au Mozambique était illégale au cours des dernières années. La majorité du bois de feuillus a été envoyé en Chine, où l’exploitation commerciale des forêts est interdite depuis 1998.
Depuis 2013, le Mozambique est le plus gros fournisseur de bois de la Chine sur le continent africain. D’après les calculs de l’EIA, les exportations illégales de bois ont fait perdre environ 113 millions d’euros de recettes fiscales à l’ancienne colonie portugaise depuis 2007. Cette somme aurait pu, par exemple, financer le programme forestier national du Mozambique pendant trente ans ou couvrir près de deux fois les coûts d’un programme de réduction de la pauvreté, selon l’EIA.
Production de charbon avec du bois précieux
Ana Alonso souligne que, contrairement aux réserves de gaz et de charbon récemment découvertes, le bois tropical pourrait constituer une source de revenus durable pour le Mozambique : « Si on fait les choses comme il faut, les forêts ne risquent jamais de disparaître. » Mais selon elle, de nombreux Mozambicains transforment le bois précieux en charbon ou brûlent les arbres pour créer des terrains agricoles, inconscients de leur véritable valeur.
Le ministère de l’agriculture inflige bien des amendes aux entreprises chinoises de temps à autre, mais Ana Alonso considère que les actions de ce type ne sont que des manœuvres politiques symboliques : « Les amendes sont une plaisanterie à côté des millions que gagnent les Chinois. La société civile doit passer à l’action et ne doit plus accepter cela. »
« Quand tous les arbres auront disparu, je brûlerai tout »
L’organisation locale de défense de l’environnement Forum Terra montre l’exemple. Elle informe les habitants sur leurs droits et les aide à créer des comités visant à prévenir la corruption des responsables locaux par des négociants chinois. Elle les incite également à arrêter les camions qui transportent du bois récolté illégalement. « Ils doivent appeler les autorités locales et la moitié de l’amende doit être versée aux habitants », explique Manuel Passar, membre de Forum Terra.
En attendant, le bûcheron illégal Nito Silva a remarqué la nette diminution du nombre d’arbres feuillus de grande valeur dans la région. Il ne se dit toutefois pas vraiment inquiet, en versant de l’essence dans sa tronçonneuse : « Quand tous les arbres auront disparu, je brûlerai tout pour créer des terres arables et je planterai du maïs et des ananas. »
Andrea Dijkstra (contributrice Le Monde Afrique au Mozambique)