Ce mercredi 29 février 2012 a débuté à la Cour de Cassation une audience que les experts en droit social, les syndicalistes et les DRH des entreprises vont suivre avec la plus grande attention.
Les magistrats de la plus haute juridiction doivent en effet valider ou infirmer un récent arrêt de la Cour d’appel de Paris. Le 12 mai 201, celle-ci avait estimé que le motif économique invoqué par la société Viveo France pour justifier son plan social n’était pas valable. Et si cet arrêt est confirmé, ce sera un véritable tremblement de terre.
Retour sur les faits. L'affaire remonte à 2010. Peu après son rachat par le groupe suisse Temenos, l’entreprise de logiciels bancaires engage un plan social qui prévoit la suppression de 64 postes. Le comité d’entreprise (CE) s'y oppose et décide de porter l'affaire devant la justice. A ses yeux, le motif économique invoqué par Temenos pour justifier la procédure de licenciement ne tient pas. En première instance, le CE est débouté. Mais un an plus tard, la Cour d’appel lui donne raison, soulignant "un défaut de cause économique". Tout en assurant qu’elle ne s’immisce pas "dans la gestion de l’entreprise", la Cour estime que la légalité du motif de la procédure n’est pas justifiée.
D'autres cours d'appel ont tranché dans le même sens
Si ce jugement inquiète, c’est parce qu’il n’est pas isolé. A la fin de l’année dernière, la Cour d’appel de Reims renvoyait également une procédure de licenciement pour une absence de motif économique. La société Sodimécal, spécialisée en matériel médico-chirurgical avait voulu fermer un site. Saisi par le comité d’entreprise, le tribunal avait annulé la procédure de licenciement. Et donc bloqué en cours d’élaboration un plan social, au motif que la restructuration ne reposait réellement sur un motif économique. Une première.
Et pour cause. Jusqu’à présent, lorsqu’une entreprise engage un plan social, les salariés ont le droit de saisir, au travers de leurs délégués, les tribunaux pour le contester. Mais d’une part, cela se fait en amont, avant que les salariés aient reçu leur lettre de licenciement. Et deuxio, ce n’est qu’en cas d’absence de mesures de reclassement ou si elles sont jugées insuffisantes, que les magistrats du tribunal de grande instance peuvent annuler un PSE.
Ils ne peuvent en aucun cas juger la pertinence ou non que l’employeur a pour supprimer des emplois au nom de difficultés économiques. Cette disposition n’est possible que dans un second temps, devant le conseil des prud’hommes, seul habilité à statuer sur "la cause réelle et sérieuse" d’une rupture de contrat. En général, le salarié se lance dans une procédure, et s’il l’emporte, le patron lui verse des dommages et intérêts. C’est souvent une mesure personnelle, et la condamnation qui peut en découler est seulement pécuniaire.
Quelles seraient les conséquences d'une confirmation en cassation ?
Si le jugement Viveo venait à être confirmé, les salariés auraient désormais la possibilité, en amont, de remettre en question la pertinence d’un plan social. Et en d’autres termes, les magistrats pourraient juger la motivation économique d’une restructuration.
Cette possibilité inquiète patrons comme salariés. Fait rare, mais le syndicat d'avocats d'entreprises en droit social, Avosial, a adressé une lettre à tous les candidats à la présidentielle pour alerter de la difficulté à faire reconnaître la validité des licenciements économiques. Selon eux, si les juges se donnent le pouvoir de faire annuler l'ensemble d'un plan social, les conséquences économiques seront catastrophiques.
"S’ils ont de telles entraves pour supprimer des postes, les patrons n’embaucheront plus", assure Etienne Pujol, un membre d’Avocial. Et de souligner les aberrations qui en découleront. Par exemple, dans le cas de Sodimédical, les salariés -ils sont une cinquantaine - ne peuvent pas être licenciés économiquement, puisque le plan social pour ce motif a été considéré comme nul. Ils ne peuvent pas non plus réintégrer puisque leur site a fermé. De fait, l’employeur est tenu de leur verser un salaire. Déjà en difficulté, il est probable que celui-ci bientôt ne puisse plus le faire. Qu’en sera-t-il alors de l’avenir des salariés ? Ceux-ci risquent en tout cas d’y perdre. Non seulement ils n’auront plus de job, mais ils seront moins bien pris en charge.
Le licenciement économique serait enterré une fois pour toutes
"Dans le cadre d’un plan social, ils avaient au moins l’assurance de bénéficier de mesures d’accompagnement", poursuit Etienne Pujol. Un constat qui n’a pas échappé aux organisations syndicales. Elles savent que des mesures négociées collectivement sont toujours plus intéressantes. Les licenciements économiques étaient souvent assortis d’indemnités de départs, mais aussi d’aides pour la recherche d’emploi... Pour Michel Ghetti, le PDG de France Industrie Emploi, qui fait beaucoup d’aide à la revitalisation et d’accompagnement des entreprises dans leur restructuration, "au fond, c’est l’attractivité de la France qui est menacée". Et le patron d’assurer que déjà, devant de telles rigidités juridiques, des entreprises étrangères qui prévoyaient d’installer des sites dans l‘hexagone renoncent.
En réalité, si la Cour de Cassation confirme le jugement Viveo, elle enterrerait une fois pour toute, le licenciement économique. Trop complexe, et trop cher, ce dispositif est déjà mal en point. Ainsi, comment expliquer qu’en pleine crise, les licenciements économiques aient baissé de moins 4% en un an ? Les employeurs préfèrent passer par un plan de départ volontaire ou une rupture conventionnelle plus simple et nettement moins couteuse. Preuve en est, les ruptures à l'amiable sont deux fois plus nombreuses que les licenciements économiques. En janvier, 14.000 licenciements ont été enregistrés pour 30.000 ruptures conventionnelles. La cour de cassation a prévu de rendre sa décision dans trois semaines. Une attente interminable pour toutes les parties concernées.