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Un ex-associé de la banque suisse Reyl a levé de l'argent pour Sarkozy
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<time datetime="2013-04-10T11:32:03" itemprop="dateCreated">Créé le 10-04-2013 à 11h32</time> - <time datetime="2013-04-10T15:49:48" itemprop="dateModified">Mis à jour à 15h49 </time>
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En 2007, pendant la campagne présidentielle, Pierre Condamin-Gerbier était également président de l'UMP en Suisse.
L'entrée de la banque suisse Reyl, dans le quartier de la finance à Genève, le 8 avril 2013. (AFP PHOTO / FABRICE COFFRINI)
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Ce 23 mars, Eric Woerth et Patrick Devedjian, en pleine campagne présidentielle, sont venus à Genève lever de l'argent pour Nicolas Sarkozy auprès des quelque 100.000 électeurs français résidant en Suisse. Ils courtisent votes et capitaux, lors d'une réunion à l'hôtel Crowne Plaza et une fin de soirée très select à la Caviar House, selon l'enquête d'Yves Steiner dans "l'Hebdo".
Entre les deux "Sarko boys" pose ce jour-là un certain Pierre Condamin-Gerbier, alors président de l'UMP en Suisse, mais aussi - ce qui était passé inaperçu à l'époque - associé de Reyl & Cie.
Peu connu à Paris, Condamin-Gerbier, un ex-HEC natif de Saint-Etienne aujourd'hui âgé de 42 ans, est alors le pilier de la structure suisse de l'UMP. Enthousiasmé par le programme pro-business du candidat, il a "ressuscité" une délégation moribonde, qui ne compte que 23 adhérents quand il prend les commandes. Ce militant convaincu arrive un an plus tard à en recruter 500, plus 500 sympathisants. Ce qui en fait, explique-t-il, la "plus grande délégation UMP à l'étranger". Au total, il estime entre 500.000 et 1 million de francs les dons récolté par l'UMP suisse pour cette présidentielle...
D'où sa colère quand, une fois au pouvoir, Nicolas Sarkozy et son ministre du Budget, Eric Woerth, se lancent dans une stigmatisation des exilés fiscaux, qui connaîtra son apogée avec la "liste HSBC". Les chèques de ces "mauvais patriotes", pourtant, n'avaient pas d'odeur !
Désertant l'UMP à la fin de 2008 pour rejoindre l'éphémère Alternative libérale, Pierre Condamin-Gerbier accuse alors Eric Woerth de "cracher dans la soupe dans laquelle il a été ravi de tremper ses lèvres !". Après tout, sa femme, Florence - qui accompagnait justement "Eric" ce 23 mars dans le Falcon 10 mis à leur disposition par une grosse fortune française de Genève -, ne fréquentait-elle pas souvent le family office suisse de son employeur d'alors... Liliane Bettencourt ?
"Services personnalisés aux grandes fortunes"
Les family offices, justement, c'est la spécialité de Pierre Condamin-Gerbier. "Il s'agit de secrétariats étendus, spécialisés dans les services personnalisés aux grandes fortunes ", explique-t-il. Typiquement, les patrimoines qui pèsent moins de 100 millions d'euros s'adressent à des multi-family offices, qui ont plusieurs clients. Au-delà, cela vaut le coup de monter sa propre structure, comme l'ont fait aux Etats-Unis Michael Jordan, Oprah Winfrey, Bill Gates ou Donald Trump. Leurs employés se chargent de superviser l'"ingénierie patrimoniale" (gestion, fiscalité), mais aussi de résoudre tous les tracas qui vont avec l'argent.
Comment gérer actifs immobiliers, objets d'art, jets et yachts, oeuvres philanthropiques ? Comment organiser sa sécurité ? Où mettre les enfants à l'école ? Ces questions n'ont plus de secret pour Pierre Condamin-Gerbier, qui les pratique depuis près de vingt ans. François Reyl, rencontré à Londres, lui propose, en 2006, de venir à Genève lancer le Reyl Private Office.
Depuis 2010, il exerce le même type d'activité, en indépendant. Reyl & Cie a notamment aidé Paul Dubrule à déménager en Suisse : "J'ai utilisé leurs services deux ou trois ans, au moment où je suis venu m'installer. J'ai encore un petit compte, avec quelques avoirs chez eux", nous confirme le cofondateur d'Accor et ancien sénateur UMP de Seine-et-Marne, satisfait.
Hervé Dreyfus, un bon rabatteur de clients français
Car dans l'establishment franco-genevois, la maison Reyl a bonne réputation. "Ce sont des gens assez formels, très famille", témoigne une de leurs relations. Le père, Dominique, 75 ans, un ex-HEC passé par Harvard, est venu s'établir à Genève au début des années 1970. Son demi-frère n'est autre qu'Hervé Dreyfus, le gestionnaire de fortune qui dialogue avec Cahuzac, sur la bande par laquelle le scandale est arrivé... Un bon rabatteur de clients français.
Mais c'est son fils - 47 ans, gueule de jeune premier et discours policé - qui a considérablement développé l'affaire. François Reyl a toujours su ce qu'il voulait : approché par un chasseur de têtes quand il était banquier d'affaires à Londres, il décline une offre : "Il m'a dit qu'il voulait reprendre la structure familiale", raconte ce professionnel.
En 2002, François intègre Reyl & Cie, dont il devient directeur général en 2008. Le décollage est spectaculaire : outre le Private Office, il crée une gamme de fonds de placement pour les institutionnels, ouvre un bureau à Paris, qui gère plus de 300 millions d'euros avec une douzaine de personnes. Reyl Paris vient de recruter Virginie Robert, une ex de Lazard et de Raymond James Asset Management, où travaille actuellement... Hervé Dreyfus.
Coffres-forts plus discrets
Viennent ensuite des antennes au Luxembourg, à Singapour et à Hongkong. Officiellement pour solliciter l'argent asiatique. En fait, parce qu'il oriente ses clients vers des coffres-forts plus discrets. En effet, selon les documents d'"Offshore Leaks" révélés par "le Monde" du 8 avril, Reyl aurait, à partir de 2008, monté une série de sociétés dans des paradis fiscaux exotiques : Seychelles, îles Vierges britanniques, Panama, Costa Rica...
Alors qu'elle n'était jusque-là que société de gestion, Reyl & Cie obtient à la fin de 2010 une licence bancaire en Suisse. En 2011, elle acquiert à Zurich une structure dédiée aux clients américains ; début 2013, elle ouvre à Londres et lorgne sur le Moyen-Orient... Reyl & Cie emploie actuellement plus de 125 personnes et gère quelque 7,3 milliards de francs (8,8 milliards d'euros). Ses avoirs ont été multipliés par sept en six ans : "La croissance a dépassé 60%" sur la seule année 2012, se réjouissait François Reyl dans une récente interview à l'Agefi.
Publicité pour la banque Reyl à l'aéroport de Genève (DR).
"Reyl & Cie est emblématique des boutiques qui ont profité de la transparence forcée des grandes banques, explique un conseiller fiscal français. Alors qu'à partir de 2008, les UBS, HSBC et autres Crédit suisse - dans le collimateur des autorités américaines et européennes - faisaient le ménage dans leurs comptes non déclarés, les clients éconduits se sont rabattus sur ces maisons familiales moins regardantes."
"L'un des réceptacles de l'argent français offshore"
Pierre Condamin-Gerbier a-t-il - comme Hervé Dreyfus, que l'on dit ami d'enfance de Cécilia Sarkozy et très introduit à l'UMP - drainé ses amis politiques dans sa banque ?
Non. Mon activité politique n'avait rien à voir avec mon activité professionnelle, qui elle-même était distincte de la banque privée", nous répond-il.
Pour ce conseiller juridique genevois, pourtant, "Reyl est connue pour être l'un des réceptacles de l'argent français offshore...". Reste à savoir si les juges français souhaiteront faire explorer les livres de Reyl& Cie, au-delà du dossier Cahuzac.
En tout cas, les mailles du filet se resserrent sur les centaines de boutiques similaires. "Le secret bancaire suisse est mort", tranche l'avocat genevois Philippe Kenel, de Python & Peter. Certes, le gendarme suisse de la finance - la Finma - tolère encore que les grandes banques ignorent l'identité des ayants droit finaux, s'ils sont clients de sociétés de gestion helvétiques qui ouvrent des comptes groupés opaques. Comme Reyl l'avait fait pour Cahuzac à l'UBS... D'où le "chou blanc" de la demande de renseignement administrative de Bercy.
Mais la dissimulation sera de plus en plus risquée : "Le non-déclaré ancien était toléré; il le sera de moins en moins", dit un conseiller juridique. Au-delà des échanges d'information qui se sont intensifiés (depuis janvier, les demandes d'entraide administratives peuvent viser non seulement un individu, mais un groupe de personnes), " la Suisse a mis en consultation deux nouvelles lois, qui vont encore plus loin", explique Philippe Kenel. En projet, notamment, l'introduction du délit d'"infraction fiscale qualifiée" et des "obligations de diligence étendue pour les intermédiaires financiers". Heureusement, pour les financiers suisses, l'argent russe, moyen-oriental ou asiatique n'est pas encore tenu aux mêmes normes !