Le 19 janvier 2012 après plus de sept ans de négociations avec tous les partenaires sociaux, un texte fixant les conditions minimales de travail et de rémunération des ouvriers, techniciens et réalisateurs du cinéma a été signé. Il va être soumis à extension le 28 janvier pour être applicable à tous les employeurs. Alors que sont évoqués dans la presse les cachets mirobolants d’une poignée de stars, sait-on que les équipes techniques (ouvriers, techniciens, réalisateurs), en l’absence de texte conventionnel étendu, ne bénéficient d’aucun salaire minimum garanti hormis le Smic ?
Comme dans toutes les industries, («Le cinéma est un art, et par ailleurs une industrie», disait Malraux) établir et étendre une convention collective non seulement protège les plus modestes des salariés mais permet de réglementer socialement le secteur. Pourtant, dans une campagne de presse orchestrée par les organisations non signataires, on voudrait nous faire passer cette convention pour un scandale !
Une atteinte à la création ? Non, une protection pour les réalisateurs
Les réalisateurs n’ont jamais bénéficié d’un salaire minimum garanti hormis le Smic. Leur temps de travail réel est trop souvent rémunéré en «droits d’auteur», c’est-à-dire sans cotisations ni droits sociaux, les privant de droits au chômage et d’une retraite digne de ce nom. Pour ceux-là et pour la première fois, la convention collective prévoit un salaire minimum, qui leur permettra de vivre de leur métier et ne les obligera pas à demander le RSA (eh oui !) ou à quitter la profession. Assurer au réalisateur un salaire quand il travaille, c’est cela, tuer la création?
Un accord pour les privilégiés ? Non, des droits minima pour les ouvriers, techniciens et réalisateurs
Dans la situation actuelle, avec les délocalisations, avec de nombreux films sous payés voire non payés, le tout laissé à la bonne volonté du producteur, seuls peuvent survivre ceux qui disposent de biens personnels ou familiaux. Alors, où sont les «riches» ? Combien de techniciens et ouvriers, ont dû quitter la profession faute de revenus suffisants ? Sur 29.525 ouvriers, techniciens et réalisateurs, 24.082 touchent un salaire annuel inférieur à 16.125 euros. Où sont les privilégiés ? Aucune sécurité de l’emploi, une précarité génératrice d’angoisse, pas de 35 heures, pas de RTT, pas d’ancienneté, souvent aucune perspective d’avancement, des heures de travail exorbitantes (et rarement payées en heures supplémentaires) allant jusqu’à 72 heures par semaine, au détriment de la santé et de la famille, et trop souvent une rémunération indigne de notre dévouement, de nos savoir-faire, de nos qualifications, de nos responsabilités.
Combien se sont entendus dire par des employeurs: «Vous n’avez pas besoin d’être payés, vous touchez les Assedic», ou «Je vous déclare partiellement, cela vous fera toujours des heures pour le chômage», alors même que les régimes sociaux sont sans arrêt remis en question. Il est temps que les employeurs du cinéma français prennent leurs responsabilités et cessent de mettre leurs employés à la charge de la collectivité. Il est temps de mettre fin à la combine : les ouvriers, techniciens et réalisateurs ne veulent plus que les producteurs transforment les allocations de chômage en revenus de complément pour entretenir un corps professionnel dont ils ont besoin mais qu’ils ne veulent pas payer.
La disparition de la diversité culturelle ? Non, une réglementation spécifique et dérogatoire
Accuser les organisations salariales signataires de vouloir la disparition de 70 films par an est d’une grande indécence. Les réalisateurs, techniciens et ouvriers n’ont pas à faire la preuve de leur attachement à la diversité de la création. Nombre d’entre eux ont accepté sur des films sous financés des conditions de salaire qui les ont souvent précarisés eux-mêmes. Les organisations syndicales ont accepté de très larges concessions, à savoir un système dérogatoire pour une durée de cinq ans qui permet à 20% des films (soit une cinquantaine de films par an) d’appliquer une décote sur nos salaires de 20%, 30%, voire 50%!
Nos organisations, contrairement à celles des producteurs, demandent depuis des années une grande concertation sur le financement du cinéma, afin de garantir la pérennité de la production des films les plus exigeants, au financement difficile, au service desquels nous nous sommes tant dévoués. Cette demande commence à être entendue du côté du Ministère de la Culture et nous en prenons positivement acte avec l’annonce d’une première rencontre le 23 janvier prochain.
Qui représente le cinéma ? La campagne des 95%...
Nous lisons partout que ce sont 95% des producteurs qui s’opposent à notre Convention. Que veut dire ce chiffre quand on sait que tout le monde peut être producteur ? Pas besoin de qualification professionnelle, pas de capital minimum pour s’autoproclamer producteur. Selon une étude récente, sur 451 nouveaux producteurs apparus entre 2006 et 2010, 200 ont cessé leur activité depuis, soit 44%. En 2011, il y a eu encore 95 nouveaux producteurs (pour 270 films). Combien en restera-t-il l’année prochaine ? Au niveau du volume d’emploi, entre les délocalisations et les budgets minimalistes, ces 95% ne sont qu’une imposture !
Pourtant, ces mêmes sociétés captent une large part du système de soutien financier fondé sur la mutualisation des ressources du secteur. Les producteurs bénéficient d’un relèvement du crédit d’impôt, dont le montant a récemment quadruplé (le plafond est passé de 1 million d’euros à 4 millions d’euros). Selon la conception de certains producteurs, l’exception culturelle, qui leur permet de profiter du système de soutien financier, leur permettrait aussi de pratiquer une exception sociale : les réalisateurs, ouvriers et techniciens devraient continuer à être la variable d’ajustement de leurs budgets.
Les producteurs n’ont pas le monopole du cinéma et de la culture ! Nous, nous fabriquons 100% des films.
Le cinéma français - dont les chambres syndicales de producteurs qui font actuellement campagne contre l’extension s’attribuent la paternité - c’est le fruit du travail de milliers d’auteurs, de musiciens, de comédiens, d’ouvriers, de techniciens, de réalisateurs, qui font les films : les gros, les petits, les moyens. Les signataires des accords du 19 janvier 2012 représentent la quasi-totalité des salariés ouvriers, techniciens et réalisateurs qui font le cinéma : nous l’avons prouvé lors d’élections professionnelles nationales.
Les trois sociétés qui regroupent en totalité les auteurs-réalisateurs de cinéma (SACD, SCAM, SACEM), constatant le dévoiement du droit d’auteur par les producteurs peu scrupuleux qui le substituent aux salaires dus, ont elles aussi toutes réclamé l’extension de la Convention Collective. La quasi-totalité des associations de réalisateurs et de techniciens soutient le processus d’extension. La ministre de la Culture a levé le blocage de son prédécesseur sur l’extension de la convention, en déclarant à tous les représentants de la profession le 20 décembre dernier, qu’elle n’avait aucune raison de s’opposer à cette extension. Nous nous en félicitons ! En soutenant l’extension de la convention collective, ce sont les intérêts du cinéma français, indissociables de ceux qui le font, que nous défendons.
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