• Histoire 07/03/2013 à 16h09

    Hessel et la Déclaration des droits de l’homme : mauvaise polémique

    Pierre Haski | Cofondateur Rue89

    François Hollande aux funérailles de Stéphane Hessel, le 7 mars 2013 (WITT/SIPA)

    Dans son discours d’hommage à Stéphane Hessel, jeudi, François Hollande a évoqué en termes flous le fait qu’il « participa comme témoin privilégié à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme ». Certains se sont étonnés de la « formule bizarre » du Président.

     

    Trois jours plus tôt, l’ancien PDG de l’Agence France presse (AFP), Claude Moisy, avait dénoncé, dans une tribune au Monde, la « frénésie moutonnière des médias », qui pour beaucoup avaient répété en boucle, dans leurs nécrologies du grand disparu, qu’il avait participé à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme, aux Nations Unies, en 1948, au sortir de la guerre.

    Qu’en est-il réellement ? Et Stéphane Hessel a-t-il laissé embellir sa légende comme certains de ses détracteurs ne se gênent pas pour le dire ?

    Collaborateur de Henri Laugier

    En fait, cette affaire en dit plus sur les médias que sur Stéphane Hessel. Car ce dernier, qui n’avait que 31 ans en 1948, n’était évidemment pas en position d’être l’un des rédacteurs de cette déclaration historique.

    Dans un livre qui fait référence, « Citoyens sans frontières » (Fayard), une série d’entretiens avec le journaliste Jean-Michel Helvig, paru en 2008, Stéphane Hessel évoque avec beaucoup de modestie son rôle pendant cette période.

    Hessel raconte qu’il est recruté, un peu par hasard, par le diplomate français Henri Laugier, qui dirige au siège des Nations Unies le département des affaires sociales et des droits de l’homme. Il se décrit comme « Executive officer du département des social affairs », c’est-à-dire, explique-t-il, « le plus proche collaborateur de Laugier ».


    Stéphane Hessel en 2010 (Audrey Cerdan/Rue89)

    Cela n’en fait d’aucune manière l’un des rédacteurs de la Déclaration universelle des droits de l’homme, dont les auteurs sont d’un autre calibre que ce tout jeune diplomate en herbe. La liste, publiée sur le site Wikipédia, donc accessible à tous, est impressionnante :

    « La fonction est modeste »

    Le rôle de Stéphane Hessel ? Il l’explique lui-même :

    « Pendant les sessions de l’Assemblée générale, ou celles de la Commission des droits de l’homme qui se tiennent tantôt à New York, tantôt à Genève, je me tiens au côté du président de la Commission sociale de l’Assemblée ou de Mme Roosevelt, la présidente de la Commission des droits de l’homme.

    Je veille à ce que les rapports soient bien rédigés et communiqués. La fonction est modeste, je suis jeune, mais elle me met en contact avec tous les intervenants dans cette période d’affirmation de l’ONU.

    Ce sera peut-être la période la plus ambitieuse de ma vie, avec le sentiment prenant de travailler non pour l’éternité, mais pour l’avenir. On prépare le monde l’après-guerre avec la mémoire immédiate de ce qui s’est passé durant les cinq années de guerre. »

    C’est tout, et comme il le dit lui-même, c’est « modeste ».

    D’où est venue la légende qui fait de lui l’un des rédacteurs de la dite Déclaration ? Claude Moisy n’exclut pas le fait que Stéphane Hessel ait pu laisser se construire cette légende flatteuse par des formules ambigües.

    Mais force est de constater qu’à l’heure de la rédaction de notices nécrologiques, alors que les propres propos de Stéphane Hessel cités ci-dessus et d’autres encore sont sans ambiguïtés, beaucoup de journalistes ont répété la légende sans sourciller. Au risque de semer le doute sur le parcours d’un homme qui en a suffisamment fait dans sa vie pour qu’on n’en rajoute pas...


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  • Etats-Unis: Le Maryland va abolir la peine de mort

    Mis à jour le 06.03.13 à 19h32  lien

    Aucun condamné n'a été exécuté dans le Maryland depuis 2005, et aucun ne le sera sans doute plus jamais: cet Etat devrait devenir dans quelques jours le 18e des Etats-Unis à abolir la peine de mort.

    Une proposition de loi du gouverneur Martin O'Malley en faveur de sa suppression a été votée mercredi par le Sénat de l'Etat. Son approbation par la Chambre des représentants devrait être une formalité dans la mesure où les démocrates, qui y sont favorables, sont largement majoritaires. «Combattons le crime avec des stratégies qui fonctionnent et arrêtons ces pratiques chères, inefficaces et injustes», s'est félicité sur Twitter Martin O'Malley, quelques minutes après le vote.

    La peine de mort en vigueur depuis 1638 dans l'Etat

    La peine capitale était en vigueur dans cet Etat de la côte est depuis 1638, alors qu'il était encore une colonie britannique. Pour Kirk Bloodsworth, de l'association Witness to Innocence, cette abolition prend une résonnance tout particulière. En 1993, il fut le premier condamné à mort américain innocenté par des tests ADN. Dans le Maryland.

    «Je ne trouve pas les mots pour exprimer mon émotion», a-t-il déclaré à l'AFP, après avoir manifesté devant le Sénat du Maryland lors du vote. «La lutte pour l'abolition dans cet Etat en particulier est évidemment très importante pour moi.» En 1984, à 23 ans, il était devenu «l'homme le plus haï du Maryland», accusé du viol et du meurtre accompagné de cruautés d'une fillette de 9 ans.

    «Nous attendons ça depuis si longtemps»

    «J'ai passé neuf ans en prison avec certains des cinq condamnés. Je ne peux même pas imaginer ce qu'ils ressentent, nous attendons ça depuis si longtemps.» Après des dizaines d'années passées dans le couloir de la mort, les cinq derniers condamnés devraient selon toute vraisemblance échapper à leur exécution.

    Vernon Evans, 63 ans, l'attend depuis 29 ans. En 1983, pour 9.000 dollars (environ 7.000 euros), il avait assassiné deux employés d'un motel, dont l'un s'apprêtait à témoigner à charge lors du procès d'un dealer de drogue, Anthony Grandison, qui lui aussi se trouve dans le couloir de la mort pour avoir commandité le double meurtre. Les cinq hommes sont détenus dans une prison de haute sécurité près de Cumberland. C'est un des rares centres de détention des Etats-Unis où les prisonniers condamnés à mort, bien qu'incarcérés dans des cellules individuelles, vivent avec les autres détenus.

    «Le texte de loi concernera seulement les affaires futures»

    «Le texte de loi concernera seulement les affaires futures, et n'agira pas de façon rétroactive sur les cinq hommes dans le couloir de la mort», explique Emma Weisfeld-Adams, de l'organisation Equal Justice USA, soulignant que leur sort est désormais entre les mains du gouverneur Martin O'Malley. Ce dernier avait affirmé lors d'une séance au parlement qu'il «jugerait au cas par cas».

    «Puisqu'il est à l'origine de la proposition de loi, les chances sont grandes pour qu'il annule définitivement l'exécution des cinq condamnés avec une commutation de leur peine en réclusion à perpétuité», a précisé Richard Dieter, directeur du Centre d'information sur la peine capitale (DPIC). En 2011, lors de la signature de l'abolition de la peine de mort dans l'Illinois, le gouverneur démocrate Pat Quinn avait commué en peines de prison à vie l'ensemble des quinze condamnations à mort que comptait son Etat.

    «Seize Etats au total ont examiné des lois relatives à l'abolition de la peine capitale depuis 2011»

    Pour Emma Weisfeld-Adams, le projet de loi du Maryland fait partie d'un «élan bien plus large de rejet de la peine de mort» aux Etats-Unis. «Seize Etats au total ont examiné des lois relatives à l'abolition de la peine capitale depuis 2011. Le Maryland est le sixième Etat en six ans à supprimer la peine de mort.»

    Selon un récent sondage du Washington Post, 60% des habitants du Maryland sont pourtant en faveur de la peine de mort, contre seulement 38% favorables à l'abolition. Le vote des sénateurs du Maryland a coïncidé, à quelques heures près, avec l'exécution dans l'Ohio (nord) d'un quadragénaire américain condamné pour meurtre qui avait passé 17 années dans le couloir de la mort.

    © 2013 AFP

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  • Société

    Le fils de Jules et Jim

    <time datetime="1997-04-07T01:21:19+02:00" itemprop="datePublished">7 avril 1997 à 01:21</time>lien

    Stéphane Hessel, le 22 janvier 2011 à Paris.

    Stéphane Hessel, le 22 janvier 2011 à Paris. (Photo Boris Horvat. AFP)

    portrait publié en 1997 Stéphane Hessel, médiateur des sans-papiers, est l'enfant d'Helen, amante des vrais Jules et Jim. Son autobiographie paraît.

    Au printemps dernier, les sans-papiers ont vu arriver cette silhouette de vieux sage, au regard malicieux sous un large front dégarni. «Bonjour, je suis Stéphane Hessel, ambassadeur de France.» Il avait été appelé à l'aide pour former un «collège des médiateurs» dont il est devenu presque naturellement le porte-parole. Il n'a pas hésité, et n'a plus quitté les sans-papiers depuis. On l'a vu partout, détonnant toujours un peu avec ses phrases précieuses. Gravement assis, dans des entrepôts désaffectés de la SNCF, présidant des réunions de famille. Ou, debout sur une estrade, exhortant le gouvernement à l'humanité. Très peu savent que cet homme a été une figure de ce siècle.

    Il est né à Berlin en octobre 1917, ce qui ne le prédisposera pas pour autant à la sympathie envers l'URSS stalinienne. Ses parents sont les artistes allemands Franz et Helen Hessel, dont l'histoire à trois, nouée avec Pierre-Henri Roché, a été racontée, de manière très romancée, dans Jules et Jim. L'histoire vraie s'est terminée non par un suicide-meurtre, comme dans le film de Truffaut, mais plus banalement par une séparation. Stéphane se souvient d'un père qui s'est «volontairement effacé» devant la passion amoureuse vécue par les deux êtres qu'il aimait le plus au monde. Ce père romancier, mais aussi Roché, lui ont transmis une passion pour la littérature et la poésie. A l'occasion, il se met ainsi à déclamer des passages entiers de Goethe ou Melville, en langue originale. Il confesse toutefois être «terriblement le fils de sa mère», figure libre et dominatrice, qui a fait de sa vie une oeuvre. Elle aurait voulu être peintre mais trouvait cela «salissant». A son fils adolescent elle conseilla de commencer son expérience sexuelle par une liaison avec un homme plus âgé. Il n'en fit rien mais n'en a pas moins gardé ce détachement envers la morale conventionnelle, et le même goût de plaire. Enfant, confronté à ce trio insolite, il a jugé que le «meilleur parti» à en tirer était de devenir «le préféré de chacun».

    C'est ainsi que le petit juif allemand Stephane vit à Berlin puis à Paris dans les milieux de la bohème artistique de l'entre-deux-guerres. Dès l'occupation allemande il gagne Londres pour intégrer le BCRA, le service de renseignement de la France libre. Mais, en juillet 1944, c'est l'arrestation, «stupide», lors d'une mission à Paris. La déportation à Buchenwald avec un groupe de 37 résistants, tous condamnés à mort, dont 6 seulement survivront. C'est à Buchenwald que se noue l'autre épisode qui, de l'aveu de Stéphane Hessel, jouera un rôle fondateur dans sa vie. La résistance du camp parvient à organiser une substitution d'identité entre des condamnés à mort et des malades qui se meurent à l'infirmerie. Il est proposé à Stéphane de prendre le nom d'un autre Français, Michel Boitel, mourant du typhus. Il hésite, refuse même: il peut être pendu à l'aube, mais ne veut pas courir le risque d'abréger une autre vie. «On n'aime pas trop devenir assassin, même par anticipation», lâche-t-il aujourd'hui. Finalement Michel Boitel meurt. La substitution d'identité peut se faire. Le jour même de son vingt-septième anniversaire, Stéphane Hessel revit de la mort d'un autre. Il garde aussi le souvenir violent d'une journée passée, pour deux rondelles de saucisson, à décharger et déshabiller des cadavres, «l'horreur absolue». Dans la débâcle allemande, il réussit à s'évader d'un train à l'occasion d'un transfert à Bergen Belsen. De ce convoi, beaucoup ne survivront pas.

    La chance est un «axe» de sa vie. «Trop de chance, dit-il, pourquoi moi? Pourquoi pas Michel Boitel? Quand on a vécu des choses comme cela, on se sent responsable.» Il deviendra diplomate, métier qui suppose un bel art de la ruse. Car la chance désigne aussi «le favori des dieux, mais aussi celui qui passe à travers, qui triche un peu, et réussit sa tricherie». Il part à New York pour participer la construction de l'ONU, où il s'attache notamment à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Le diplomate-poète s'engage en 1953 auprès de Pierre Mendès-France, homme juste qui reste son idéal en politique. Trente ans plus tard ce sera auprès de Michel Rocard. Durant les deux septennats de François Mitterrand, trop réaliste pour s'éloigner du pouvoir, trop conscient pour s'en rapprocher, il devient un vrai «sage» professionnel. Appelé à la Haute Autorité sur l'audiovisuel qui s'occupe de négocier la libéralisation de la bande FM avec une nuée turbulente de «radios libres».

    Membre du Haut Conseil à l'intégration, il rédige un rapport dont le titre sonne comme un appel: «Immigrations: le devoir d'insertion». Sous le gouvernement Rocard, il est pressenti pour diriger une agence du développement, projet vite enterré. Il n'en rend pas moins un rapport acerbe sur les hontes de la coopération française en Afrique, que Mitterrand s'empresse de ranger dans un tiroir. Aujourd'hui à 79 ans, il ne tient pas en place. Quand il ne se rend pas en province pour plaider la cause des sans-papiers avec son épouse Christiane, c'est qu'il tient une conférence dans une université américaine. Tout juste revenu d'une mission de paix au Burundi, il repart en Birmanie tenter de rencontrer la dirigeante de l'opposition, menacée par la dictature. Ou alors à Ouagadougou discuter développement avec le président du Burkina, tout en préparant à la demande de Boutros Ghali un énième rapport sur les moyens de réformer l'ONU. Toujours tout sourire, la tête inclinée comme pour boire les paroles de son interlocuteur, à essayer d'arrondir les angles et réconcilier les extrêmes, il cache sa détermination sous un air faussement angélique. Il écoute, et attend, sûr qu'il va au final faire progresser quelques idées simples comme la tolérance. Ses efforts sont de séduction, plus que de conviction.

    Ses rapports officiels sont restés sans suite, ses médiations ont parfois tourné au désastre (comme en 1975 dans l'affaire de l'otage Françoise Claustre au Tchad). Il évoque, en allemand, cette inlassable «créativité mélancolique» qui lui semble caractériser le métier de diplomate. Ou de médiateur, dont il revendique la noblesse du titre: médiateur entre la France et l'Allemagne après la guerre, entre «sans-papiers» et gouvernement aujourd'hui, ou entre Hutus et Tutsis au Burundi.

    La position du médiateur s'inscrit au centre d'un trio, dont il se détache par sa séduction, comme l'image de sa mère est restée dans son esprit. Mais il est aussi celui qui reste en retrait. «Une grande culture, une intelligence des mots, un homme très modeste, se mettant très peu en avant, mais apportant beaucoup, tirant les ficelles aussi.» Ce n'est pas de lui dont il parle, mais de son père, Franz.

    (1) Stéphane Hessel vient de publier son autobiographie Danse avec le siècle (édition du Seuil). La cinéaste allemande Antje Starost a aussi consacré un film à ses souvenirs.

    Stéphane Hessel en huit dates:

    20 octobre 1917. Naissance à Berlin
    1937. Naturalisé français
    20 octobre 1944. Prend, au camp de Buchenwald, l'identité de Michel Boitel
    1945. Entre au Quai d'Orsay
    1955. Affecté à Saigon
    1964-1969. Affecté à l'ambassade de France à Alger
    1989-1993. Membre du Haut Conseil pour l'intégration
    Mars 1996. Participe au collège des médiateurs pour les sans-papiers


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  • "Des paroles et des actes": la leçon de démocratie de Malek Boutih à Marine Le Pen

    Modifié le 22-02-2013 à 11h50

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    LE PLUS. La présidente du Front national était l'invitée de "Des paroles et des actes" sur France 2 ce jeudi. Face à Malek Boutih, elle a été surprise par les attaques précises du député qui cherchait à démontrer que le parti d'extrême-droite n'était pas une formation "démocratique". Point de vue de notre chroniqueur, Thierry de Cabarrus.

    Édité par Mélissa Bounoua

    Marine Le Pen face au député PS Malek Boutih le 21 février 2013 dans Des paroles et des actes sur France 2 (CAPTURE LE PLUS)

     Marine Le Pen face au député PS Malek Boutih le 21 février 2013 dans "Des paroles et des actes" sur France 2 (CAPTURE LE PLUS)

     

    Bousculée par le journaliste François Lenglet, Marine Le Pen a évité de peu le naufrage en économie jeudi soir dans l'émission de David Pujadas, "Des paroles et des actes" sur France 2.

     

    Mais c'est dans son face à face avec le député socialiste de l'Essonne, Malek Boutih, qu'elle a connu une véritable déroute : comme je l'espérais sans trop y croire, malgré son sens de la répartie, malgré ses ficelles de débatteuse habituée aux plateaux télé, elle a chuté face à lui à plusieurs reprises en moins d'une demi-heure, devant des millions de téléspectateurs peu habitués à de si flagrantes déconfitures. Quel symbole ! L'écueil, jeudi soir, pour la patronne du "Front national', a été le beau mot de "démocratie".

     

    La patronne du FN déstabilisée 

     

    Pourtant, elle semblait bien partie, Marine Le Pen : toujours pleine de morgue, elle avait joué comme d'habitude son rôle de victime avec les "questions insultantes"  de Nathalie Saint-Cricq en particulier, des "experts" et des "journalistes" en général, stoppant les sujets qui fâchent  d'un rire de gorge, d'un bon mot ou d'un coup de colère. Elle s'était revendiquée la "voix" des Français  "relégués", les ruraux, les retraités, les vrais "patriotes" dotés d'une carte d'identité française. 

     

    Puis, elle avait connu une première alerte face au journaliste économique de France 2. Car ce dernier n'avait pas eu de mal à opposer le réalisme de ses chiffres et de ses graphiques à son souhait répété de sortir la France de l'Europe et de l'euro. Impossible sans connaître des résultats économiques catastrophiques de la Grande-Bretagne.

     

    C'est donc un peu déstabilisée que Marine Le Pen s'est retrouvée en face de Malek Boutih, comptant sans doute sur ce premier duel pour se refaire une santé sur son dos.

     

    C'était mal connaître le député de l'Essonne, ne rien savoir de ses âpres combats de militant au sein de SOS Racisme ou contre tous les communautarismes, de sa hargne iconoclaste qui l'a conduit parfois à s'opposer à son propre parti, le PS, par exemple, lors de son parachutage raté en Charente ou de sa bagarre avec son ancien ami Julien Dray pour l'investiture aux dernières législatives.

     

     Le bal indigne de Vienne

     

    On appellera ça l'effet de surprise: Marine Le Pen a sous-estimé son premier contradicteur, préférant sans doute se concentrer sur le deuxième, Bruno Le Maire. Dès lors, elle s'est mal préparée, et elle a payé cash cette négligence face à un député bouillant qui, jamais, n'a rien lâché.

     

    Pourquoi le FN n'a-t-il pas changé de nom s'il est un parti soluble dans la démocratie? Pourquoi, elle qui se revendique moderne, débarrassée des oripeaux du parti de son père, le racisme, l'antisémitisme, n'a-t-elle pas fait cette rupture avec l'histoire en abandonnant le nom de "Front national" ? Pourquoi n'a-t-elle pas fait comme Gianfranco Fini, le président du parti néofasciste italien "MSI" qui l'a rendu plus respectable en l'appelant "L'Alliance nationale"?

     

    Ça commence fort. Marine Le Pen, bousculée d'entrée, répond à côté, lâche son mépris pour Fini qui a laissé ses convictions en même temps que son nom de "MSI".

     

    Ça continue sur le même ton implacable, avec ce qui restera sur elle comme une tâche indélébile : Malek Boutih la questionne sur sa présence à Vienne au "bal avec les nazis". Impossible de s'échapper, la patronne du FN doit répondre, se justifier.

     

    Elle explique alors que la "Burschenschaft Olympia" (le parti autrichien ouvertement néo-nazi de Strache, le successeur de Haider décédé dans un accident de voiture) est "respectable" puisqu'il a obtenu 30% des voix aux élections. Elle évoque ensuite "le fantasme de l'extrême gauche", ajoute qu'ils étaient 8000 à ce bal et qu'elle n'a pas demandé les CV de chacun. Elle tente la dérision face à cette question qui la gêne, dit finalement, en colère, qu'elle est là pour parler politique.

    VIDEO

     

    La modernité du FN ?

     

    Alors Boutih la reprend de volée, lui rétorque qu'elle ne peut pas vouloir être respectée et "évacuer tous les sujets en sortant une vanne à chaque fois".  Il lui rappelle que le bal de Vienne auquel elle participait était "interdit aux femmes et aux juifs"et qu'il se déroulait le 27 janvier 2012, le jour anniversaire de la libération du camp d'extermination d'Auschwitz.

     

    Car le député socialiste a un but : montrer comme il l'a écrit dans une tribune à "Libération", que la modernité du FN n'est qu'un camouflage pour un parti toujours anti-démocratique. Un parti encore plus dangereux puisqu'il avance masqué et surfe sur la crise. Et en quelques poignées de minutes, il va réussir sa démonstration.

     

    Marine Le Pen se lance alors dans une explication bien préparée, destinée à prouver que le FN est "démocrate" puisque depuis 40 ans, il a participé à toutes les élections, il est pour "la proportionnelle intégrale" et "les référendums d'initiative populaire". Elle dit parler au nom des Français, ce que lui conteste son adversaire : "Mais non madame, vous n'êtes pas encore présidente de la République pour parler au nom des Français"

     

    Une leçon "sur le vif" de ce qu'est la démocratie

     

    Malek Boutih reprend la main, démontre d'abord qu'elle refuse de le laisser parler, qu'elle s'embarque dans de longs monologues qu'il interrompt en l'exhortant à "accepter le débat": "le b-a-ba de la démocratie, c'est le dialogue", lui lance-t-il.

     

    Sans s'énerver, il lui dit qu'elle le fait penser "aux islamistes" en faisant semblant comme eux d' accepter les règles de  la démocratie: mais comme eux, elle n'a pas le choix des moyens, si elle veut le pouvoir, elle doit passer par les urnes et c'est après les élections que les islamistes montrent leur vrai visage.

     

    Autre moment fort: Marine Le Pen, harcelée par son contradicteur, en arrive à dire que si elle est au pouvoir, elle interdira les manifestations à caractère "délictuel". Boutih lui demande alors lesquelles? Elle répond "les manifestations de soutien aux clandestins".

     

    Le député socialiste s'engouffre dans la brèche, dit que la démocratie c'est aussi accepter les manifestations en faveur des sans-papier ou en faveur du Front national. Et que, dans cette logique, on pourrait instaurer "un délit de parole", "un délit de désobéissance".

     

    Il conclut que la démocratie, ce n'est pas "la démocratie du Front national", c'est "accepter les idées des autres, même si vous ne les supportez pas". Une leçon  belle, pédagogique, "sur le vif" pourrait-on dire, sur ce qu'est justement la démocratie.

     

    La fin du débat porte sur l'immigration et le racisme. Marine Le Pen monopolise la parole. Malek Boutih la lui laisse avec élégance alors que David Pujadas tente de la lui rendre. Puis il conclut à son tour qu'il va combattre le FN avec le Parti socialiste car c'est "un parti dangereux" qui "joue à fond la désespérance de ce pays pour prendre le pouvoir". Un parti qui n'a pas de réponses structurées ou structurelles au malheur des gens. Un parti qui prétend défendre les gens en souffrance mais qui ne le fait pas. "La vérité, dit-il, c'est leur malheur qui vous intéresse, pas ces gens".

     

    Durant tout ce face à face, le député socialiste a poursuivi et réussi cette mise à nu implacable, irréfutable des vrais objectifs du Front national. À mon avis, c'était bien un grand moment de démocratie.


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  • Le viol de l'étudiante va-t-il réveiller la société indienne ?

    Créé le 03-01-2013 à 18h59 - Mis à jour à 20h34 lien

    C'est ce que réclament les milliers d'Indiennes qui ont manifesté contre les atteintes généralisées aux droits des femmes. Pas sûr pour autant qu'elles soient entendues.

    Manifestations en Inde contre les agressions sexuelles sur les femmes (Anupam Nath/AP/SIPA)

    Manifestations en Inde contre les agressions sexuelles sur les femmes (Anupam Nath/AP/SIPA)
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    Cinq de ses six bourreaux présumés ont été inculpés jeudi 3 janvier. Le procès va pouvoir commencer. Ce sera le procès du viol ignominieux d'une étudiante de 23 ans, sauvagement agressée par une bande de brutes dans un bus le 16 décembre, dans la capitale indienne New Delhi, et morte des suites de ses blessures samedi dernier. Mais ce procès sera-t-il également celui d'une société dont le vernis de grande puissance économique et démocratique craque sous la pression de ses millions de pauvres (un Indien sur trois vit sous le seuil de pauvreté), ses inégalités, son conservatisme machiste très enraciné qui fait bien peu de cas du statut de la femme et sa corruption généralisée ?

    24.000 plaintes pour viols

    C'est ce que réclament les milliers d'Indiens, et surtout d'Indiennes, qui, horrifiés par le viol de cette étudiante, sont descendus dans la rue ces dernières semaines pour protester contre les violences commises quotidiennement sur les femmes en toute impunité. C'est ce que demandent aussi les Nations unies. "Il s'agit d'un problème national qui touche des femmes de toutes les classes et castes, et qui requiert des solutions nationales", a dénoncé la Haute Commissaire de l'Onu aux droits de l'Homme, Navi Pillay.

    Plus de 24.000 plaintes pour viol ont été enregistrées en 2011, mais seulement un quart d'entre elles ont débouché sur des condamnations, selon le Bureau national de la criminalité. Et il ne s'agit là que des cas connus. Combien de victimes se taisent sous la pression de leurs bourreaux, de leur propre famille qui préfère souvent étouffer l'affaire de peur d'y laisser son honneur, et d'autorités indifférentes, arrogantes, voire complices ?

    Il aura fallu une semaine d'émeutes pour que le Premier ministre, Manmohan Singh, sorte enfin de son silence pour promettre de réviser une législation qui protège bien mal les femmes. Entre-temps, le chef de la police de New Delhi avait balayé cyniquement la polémique d'un revers de la main, en faisant valoir que les hommes aussi étaient en danger dans la capitale, en raison des pickpockets qui y sévissent... Une déclaration qui en dit long sur un machisme indien plus qu'endurci.

    Des lois sans effet

    L'Inde, qui a pourtant porté Indira Gandhi à la tête du gouvernement dès les années 60, et qui a confié à Sonia Gandhi, sa belle-fille les commandes du parti au pouvoir, le parti du Congrès, ne voit pas un jour passer sans le viol d'une jeune fille, le mariage d'une mineure, un nouveau cas d'esclavage domestique, le meurtre d'une épouse pour dot insuffisante. Pour ne prendre que ce dernier crime, la coutume de la dot est pourtant censée avoir été abolie depuis les années 60 ! A l'évidence, les traditions sont coriaces et se jouent des lois.

    Difficile alors d'imaginer qu'une nouvelle loi, réprimant plus sévèrement les agressions sexuelles, comme l'a proposé mercredi le ministre Shashi Tharoor (ex-diplomate onusien et célèbre écrivain), en suggérant qu'elle porte le nom de l'étudiante, suffira à régler le problème.

    D'autant que la justice indienne est totalement débordée. Il y aurait 32 millions d'affaires en attente, selon le quotidien britannique "The Times". Selon ses calculs, il faudrait 320 années ne serait-ce que pour solder ce retard.

    Vagues de colère

    Et puis, d'autres lois sont à revoir. Parmi elles, une pétition réclamant la suspension des députés poursuivis pour violences sexuelles doit être déposée devant la Cour suprême. Selon une association indienne, l'Association for Democratic Reforms, quelque 260 politiciens poursuivis pour agressions sexuelles ont malgré tout été autorisés à se porter candidats à des élections ces cinq dernières années.

    Ce viol, ces manifestations de colère et ce procès annoncent-ils un bouleversement social ? L'an dernier déjà, des protestations monstres contre la corruption avaient ébranlé le pouvoir au point de faire croire à une révolution en marche. Un an plus tard, le soufflé est retombé : la loi réclamée à cor-et-à-cri n'a toujours pas été adoptée et les scandales de corruption continuent de défrayer la chronique. Mais ces déferlantes successives de colère témoignent du piètre état de santé de la plus grande démocratie du monde.


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